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théorie, pas de spontanéité passionnelle, intellectuelle ou autre : les formes de la sensibilité, les catégories de l’entendement sont des entités purement verbales aussi bien que la volonté, le moi lui-même et toutes les prétendues facultés dont on l’a enrichi.

Ce système imposait naturellement aux chefs autorisés de la nouvelle philosophie l’obligation, à laquelle ils ne se sont pas soustraits, d'essayer de prouver que les notions de temps et d'espace sont réductibles entre elles et se réduisent l’une et l’autre à l’association empirique des représentations. Si, en effet, elles étaient des lois originellement distinctes et non de simples produits de la connaissance, la doctrine « associationiste » s’écroulerait par la base. On comprend dès lors, que MM. Mill, Spencer et Bain aient fait tous leurs efforts pour opérer une réduction si désirable, si nécessaire à leur point de vue, et il faut convenir qu’ils se sont montrés on ne peut plus ingénieux dans cette tentative d’où sont sorties de très-subtiles et de très-remarquables analyses psychologiques, mais qui ne résistent pas, il me semble, à la vigoureuse réfutation de M. Renouvier.

On peut accorder, dit M. Alexandre Bain, que Locke n’a pas réussi à expliquer comment nous parvenons aux notions de substance, pouvoir, temps, etc. ; les cinq sens sont insuffisants à cet effet ; pour faire disparaître les difficultés il faut faire entrer en ligne de compte les « sensations musculaires » qui deviennent ainsi pour l’école anglaise contemporaine le grand moyen de solution de tous les problèmes d’origine. M. Renouvier ne voit aucune raison d’admettre ce nouveau sens de la muscularité. « Si je remue un doigt, par exemple, et si je mets de côté : 1° le fait conscient de mon désir de le mouvoir ; 2° le fait que je vois ou peux voir de mes yeux ce mouvement s’effectuer ; 3’le fait que certaines parties organiques de mon doigt ou liées à mon doigt sont tirées ou pressées en quelque sens, si je mets, dis-je, ces trois choses de côté, il ne reste rien que je puisse affecter à la connaissance sensible du mouvement que je produis[1]. » Tout ce que nous sentons quand nous contractons nos muscles, mouvons nos mem-

  1. Log. gén., I, 325. On peut rapprocher de cette discussion la réfutation entreprise par M. Renouvier dans sa Psychologie rationnelle, I, 400, contre la théorie de l’effort musculaire de Maine de Biran. Disons à ce propos que, pour notre auteur, les mouvements appelés volontaires et en général tous les mouvements du corps qui sont en rapport avec des faits pyschologiques s’expliquent par une loi première et irréductible d’association entre les idées et les mouvements, sans qu’il soit besoin de faire intervenir ou la volonté, ou une faculté locomotrice, ou le principe vital. Sa démonstration me paraît décisive et définitive. Cette théorie avait déjà été exposée avec une grande force de logique par Bossuet dans son Traité du libre arbitre, ch. ix. Voir aussi l’ouvrage fort diffus, mais parfois très-remarquable, de Bonstetten sur l’Imagination.