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instinct, plus vif seulement, et avec plus d’élan, je dirai presque à une puissance double. Dès ses premières années de réflexion, dans sa retraite de Londres, il avait pressenti que l’action serait tout pour lui : le principe de sa philosophie, l’inspiration de son œuvre, l’instrument de son pouvoir, le secret de son influence, et plus tard, quand il en serait besoin, aux heures sombres et vides, le remède à la vie même. Comment eût-il hâté le succès de ses doctrines, comment aurait-il servi la cause de l’affranchissement, comment eût-il présidé au mouvement du siècle, s’il n’eût été, lui, aussi actif que ses idées ? Mais avant tout, comment aurait-il vécu, puisque, pour lui, la vie n’a jamais eu qu’un sens : agir ? Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les deux ouvrages où il a le mieux, le plus sincèrement, je crois, traduit sa pensée : les « Remarques sur les pensées de Pascal[1] » et le roman philosophique de « Candide. » Je ne sais pas de livre où il y ait une intelligence plus réelle et plus saine de la vie humaine, telle qu’elle est, avec ses faiblesses, ses limites, ses douleurs, mais aussi, avec ce qui la sauve et la console, l’action, où tout se répare, tout se retrempe, tout s’oublie. Aux plaintes et aux gémissements de Pascal, qui s’effraie devant la misère de l’homme, et n’ose songer à sa grandeur que pour y apercevoir mieux le mystère divin. Voltaire n’oppose qu’une observation très-simple : il se demande si toutes ces tortures de conscience et de foi n’ont pas pour cause une illusion à l’égard de la nature humaine, une ignorance au sujet de ses désirs. L’homme n’est ni ange, ni bête, avait dit Pascal : c’est précisément ce que Voltaire répète. Il estime que, dans sa dévotion à un idéal surhumain, Pascal, pour avoir haussé le désir, ou, selon, le mot admirable de Buffon[2], pour « s’être forcé sur le sentiment », a rompu tout lien avec sa race, et s’est enfui hors de l’humanité. Pour revenir au réel, il n’est que d’agir. L’action console de tout. « Candide », qui, assurément, malgré les leçons de Pangloss, n’a rien de supérieur, Candide qui, comme Panurge, est tout au plus « l’homme moyen », Candide traverse les mésaventures et les catastrophes avec un flegme imperturbable. Il lui reste toujours la ressource infaillible, ce que Pascal appelait le « remuement », le « divertissement ». Oui, certes, il faut se remuer et se divertir. Et quand le tumulte de la vie paraît se calmer, pour ne laisser aucune prise à la destinée, il faut agir quand même, il faut, comme Candide, cultiver son jardin.

L’action, où Voltaire met sa philosophie, n’est peut-être pour l’Allemagne, selon le langage du pessimisme à la mode chez elle,

  1. Écrites en Angleterre.
  2. Buffon. Discours sur la nature des animaux.