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gérard. — philosophie de voltaire

s’écartent de la foi instinctive et spontanée, le reste était erreur et ténèbres. Nés de « l’enthousiasme » qui pour Voltaire[1] et ses contemporains est encore, au sens littéral du mot, une folie, une hallucination sacrée, puis soutenus, propagés à l'aide de la prudence et de la politique humaine, les dogmes et les cultes n’ont fait qu’altérer l’idéal divin inscrit dans la conscience, et déchaîner sur le monde le fléau des guerres saintes. Aussi, toute la critique voltairienne a-t-elle consisté, d’une part, à maudire tous les excès, les désastres ou les crimes causés par l’intolérance religieuse, de l’autre à relever les prétendues extravagances qu’inspire la foi sincère, ou les fraudes pies et le machiavélisme dévot qu’invente l’hypocrisie, l’imposture. Peut-être, dans toute l’histoire religieuse. Voltaire n’a-t-il vu que des maniaques ou des fourbes : il se représentait les uns sous la figure de George Fox[2], le premier quaker et le type, le modèle des autres, à ses yeux (du moins a-t-il voulu le persuader au pape), c’était Mahomet. Appliquées à l’examen de la religion chrétienne, de telles idées ne laissaient rien subsister ni de l’Ancien ni du Nouveau Testament, elles n’épargnaient ni la loi de Moïse, ni les Évangiles, ni surtout l’Église, qui, au dire de Strauss, était seule visée dans le fameux mot d’ordre : « Écrasons l’Infâme. » La personne même de Jésus si souvent attaquée par la polémique aux mille formes, aux mille visages, de Voltaire, n’obtenait quelques ménagements, quelques respects, que grâce à l’illusion qui permettait de voir dans les sermons sur le lac ou sur la montagne les principaux traits de l’idéal déiste. Jésus a parfois semblé à Voltaire une sorte de « Socrate rustique[3] » : et, pour cette ressemblance, il lui a été beaucoup pardonné. Strauss a, lui aussi, un idéal religieux, qui n’est pas l’idéal chrétien. Et cependant, quoiqu’il s’abstienne de trop juger Voltaire, visiblement, il tient pour une autre exégèse, pour une autre critique. S’il n’a pas dit, comme l’esprit légèrement dédaigneux venu après lui, qu’à certains procédés de discussion, à certaines manœuvre, à certaine tactique, « Voltaire suffisait », c’est qu’il sait combien la pensée dépend du moment où elle se produit. Mais il a profondément senti quelles racines la foi a dans l’homme tout entier : il a cru lui-même, avec son imagination, avec son cœur[4], il a eu jusqu’à la « folie de la croix », jusqu’à l’hallucination des voyants, et s’il faut appeler songes ou chimères de tels sentiments, ces songes, n’est-il pas vrai de répéter avec Calderon[5] qu’ils sont la

  1. L’enthousiasme commence l’édifice, disait Voltaire, et la prudence l’achève.
  2. Voltaire. Lettres anglaises.
  3. C’est aussi à Socrate que Rousseau compare Jésus.
  4. Parmi les premiers écrits de Strauss, lire la Voyante de Prevorst.
  5. La Vida es sueño. C’est la tragédie sacrée qu’aimait tant Wilhelm Schlegel.