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gérard. — philosophie de voltaire

pas avoir affaire à un philosophe. En dépit des railleries de Faust contre les Wagner, il a peine à s’affranchir des préjugés que le savant a sur l’action toute seule, et sur la vie. Au point que l’originalité vraie de Voltaire lui a échappé. Pourquoi ? parce que Voltaire avait érigé en théorie l’action même. Dans le caractère moral de la philosophie de l’Aufklärung, dans les preuves morales sur lesquelles elle s’appuie, dans les fins morales où elle tend, Strauss n’a peut-être vu qu’insuffisance théorique, lieux communs, arguments populaires et faciles. Voltaire a dit de lui-même qu’il était clair, transparent, parce qu’il n’était pas profond ; et il a été pris au mot. Si pourtant ce qu’il y a de limpide, d’évident, d’aisé dans cette philosophie ne l’empêchait pas d’être neuve et féconde, si le tour moral et pratique qu’elle prend était le symbole et l’indice d’une théorie ! Oui, en vérité : et Voltaire a, tout simplement, par sa morale, de même que Hume, de même que Jean-Jacques, Voltaire a préparé, et parfois devancé la grande réforme de Kant.

C’est l’auteur de « l’Histoire du matérialisme », c’est Albert Lange qui l’a nettement aperçu. Que signifient, en effet, la plupart des raisonnements de Voltaire en théologie, pourquoi revient-il si souvent et avec tant de complaisance sur les preuves les plus connues et les plus familières, dès longtemps destinées à établir l’existence de Dieu, la providence, l’ordre divin, la cause finale de l’univers ? Pourquoi Voltaire se plaît-il à ne donner que les démonstrations les plus simples, les plus vulgaires même ? Pourquoi met-il une sorte de point d’honneur, comme Reid fera plus tard, à ne se recommander que du sens commun, cette raison un peu humble, un peu pauvre ? Il semble à certains moments braver l’opinion savante, il s’intitule fièrement « cause finalier, c’est-à-dire imbécile, » et il reprend, sans la moindre honte, des propositions qu’un long usage a comme périmées. C’est qu’il veut, à l’aide de ces vieilleries, lancer dans le monde une nouveauté audacieuse. Il n’espère rien moins que le renversement de l’ancienne métaphysique, et l’avènement de la morale. Henri Heine[1], dans son livre sur « l’Allemagne », aimait à comparer les différentes phases de la philosophie moderne avec les diverses époques de l’histoire révolutionnaire. Voltaire le justifie, son œuvre philosophique eut bien et la passion et la portée d’une lutte politique. Elle détermina une crise. Voltaire suit la logique naturelle, il ne se pique d’aucun savoir rare ou relevé, il est le « philosophe croyant » ; et quand il philosophe, ce n’est point d’une façon sublime. Il ne disserte guère : sur Dieu, il a les idées de tous ; il aperçoit la divinité dans l’œuvre de la création, dans l’ordre du monde,

  1. Voir surtout le chapitre intitulé : de Kant à Hegel.