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truire au cours de ses polémiques religieuses, et un légiste italien l’aider dans ses tentatives de bienfaisance sociale. Nul, sinon lui, pourtant, Strauss en fait la remarque, n’a eu la conscience nette et distincte de la tâche à accomplir. Tellement, ajoute du Bois-Reymond, qu’à force de l’identifier au siècle dont il est le maître, plus d’un qui, par lui, a été affranchi, ne songe même plus à se reconnaître « Voltairien ».

II

Il est de mode, en France, de traiter fort légèrement l’acquis scientifique de Voltaire. L’Allemagne lui rend, à cet égard, meilleure justice. Le même du Bois-Reymond, l’éminent physiologiste que je viens de citer, a, dans un discours[1] prononcé il y a huit ans devant l’Académie de Berlin, rappelé les titres de Voltaire à compter parmi les promoteurs des sciences au dix-huitième siècle. En un temps où les savants français ne juraient encore que par Descartes Voltaire, le premier, fit connaître les recherches et le système de Newton. C’est lui qui détermina madame du Châtelet à traduire les Principia ; et lui-même, décidé peut-être par l’exemple du Vénitien Algarotti qui lut à Cirey des dialogues intitulés Il Newtonianismo per le donne, le « Newtonianisme pour les dames, » composa ses Éléments de la philosophie de Newton. Dans la lutte qui aussitôt mit aux prises les tenants, soit de Descartes, soit de Newton, soit de Leibniz, dans la crise scientifique où se mêlèrent les idées qui ont hâté la conception contemporaine de l’univers, quel parti devait être le sien ? Lui, fondateur de la philosophie morale, devenue avec Hume et Kant la philosophie « critique », comment se prononcerait-il en ce débat de haute physique et de cosmologie, qui regardait, non l’homme, mais la nature ?

À l’heure qu’il est, la science allemande paraît engagée en deux directions très-distinctes : elle s’inspire soit des doctrines naturalistes qui prévalaient en France à la fin du dernier siècle, chez un d’Holbach, ou chez un Diderot, soit de cet esprit d’analyse, demi-positif, demi-sceptique, pour lequel certains savants d’aujourd’hui aiment à dire qu’ils relèvent de Kant. D’un côté[2], Hæckelet Strauss, aux yeux de qui la nature est un « Tout » animé, toujours en mou-

  1. Le titre du discours est : Festrede in der öffentlichen Selzung des Koniglich preussichen Akademie der Wissenschaften zur Gedächtnissfeier Friedrichs II. »
  2. Hæckel. Die Schöpfüngsgeschichte. Strauss, l’Ancienne et la nouvelle foi, traduite en français par Narval (E. Lesigne), Reinwald. 1876.