Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
444
revue philosophique

qui, après les grands mystiques du moyen-âge, aient compris ce rôle joué dans toutes les œuvres humaines par l’instinct aveugle, l’ « inconscience » de ces acteurs sans nom, les races, les peuples, l’humanité, Hamann et Herder n’ont dû cette révélation qu’à une psychologie plus profonde. Schelling et Hegel, de même, ne cherchaient que dans l’esprit la formule de l’histoire ; et, à vrai dire, la suite des siècles ne fut pour eux qu’un drame philosophique où un seul personnage tenait la scène, l’esprit, encore l’esprit, toujours l’esprit. Les grands événements, les crises, les révolutions, autant d’épisodes dans la vie de l’esprit qui, à travers la durée, s’élève de ses croyances primitives, et de ses premiers rêves, aux vérités de la plus sublime philosophie. Ainsi que déjà Lessing l’avait pressenti, et d’après l’expression qu’il avait trouvée, l’histoire est comme la longue « éducation » de l’esprit humain. S’il en est de la sorte, à mesure que se. modifie la science de l’esprit, l’histoire est autrement interprétée. Aujourd’hui où, en Allemagne, comme en Angleterre, prévaut la tendance, dite le « naturalisme, » aujourd’hui où le psychologue se rapproche du physiologiste, une précision plus rigoureuse préside à la recherche des lois historiques. Dès à présent peut-être, il est permis d’espérer une physiologie[1] de l’histoire. Voici, en tout cas, d’après ces idées, comment il faudrait se représenter le caractère original du dix-huitième siècle, du siècle de Voltaire.

Le seizième siècle a été, pour employer le langage d’Auguste Comte, le siècle « critique » par excellence. C’est une ère de rénovation et de renouveau : c’est la Réforme et la Renaissance. La Foi se retrempe aux origines, aux sources ; et l’humanité, pour revenir à la nature, retourne vers la jeunesse du monde, c’est-à-dire aux anciens. Mais ce siècle est trop agité pour avoir la conscience distincte de son œuvre ; en dépit des merveilles qu’il a créées, de l’art qu’il a laissé, il est surtout le siècle de l’action. À ce prix seulement, il a fondé ! — Et ce sont les deux siècles suivants qui ont tiré les conséquences. L’un a été l’artiste, ému devant les horizons qui s’ouvraient. L’autre a été le savant, attentif à ces nouveautés, et curieux d’en pénétrer le mystère. Si l’art, comme le veut Herbert Spencer[2], est une sorte de fac-similé de l’action, qui n’apparaît qu’après elle, et qui semble la continuer (si l’idéal est la suite du réel) ; si, de plus, la science est toujours précédée d’un art, dont elle n’est, pour ainsi dire, que l’abstraction et la formule : n’est-il pas permis de saisir les rap-

  1. Dans l’étude précédemment citée, du Bois-Réymond indique la loi d’après laquelle, dans l’histoire, la science succède à l’art.
  2. Herbert Spencer. Principes de psychologie, dernier chapitre.