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ANALYSESjules gérard. — Maine de Biran.

elle ne contredit pas la conscience du pouvoir ; elle n’en implique pas même la limitation, elle sert plutôt à la mettre en relief; elle contient à l’avance l’aveu de son impuissance ; elle n’est sentie que comme devant être surmontée. C’est ce qui fait que l’effort volontaire, au contraire de l’effort physique, peut être indéfiniment renouvelé, sans causer par lui-même ni peine ni fatigue. Leur différence n’éclate même jamais mieux que dans les occasions où l’énergie physique appauvrie rend le nisus animal de plus en plus pénible et difficile tandis que la pression de la volonté sur les ressorts organiques s’exerce toujours avec la même facilité (p. 326). »

Le lecteur peut maintenant juger par lui-même : pour moi, je confesse que je ne suis pas convaincu, mais j’avoue qu’il me semble impossible de défendre une thèse avec une dialectique plus habile et plus souple. D’ailleurs il faut, une véritable énergie pour résister au charme que l’on sent en lisant une page écrite avec un pareil talent.

Et les pages de ce genre abondent dans le livre de M. Gérard. La qualité maîtresse de cet ouvrage c’est la distinction la plus rare et la moins cherchée. M. Taine disait qu’il fallait traduire Maine de Biran ; voici certes une traduction qui est destinée à trouver auprès du public autant, je n’ose pas dire, plus de crédit que l’original lui-même.

J’ai cru devoir discuter avec quelque étendue au moins un point particulier, j’ai choisi celui qui m’a semblé le plus important de tous ; mais il en est une infinité d’autres qui appellent l’examen le plus attentif et qui provoqueraient aisément les discussions les plus approfondies. Je l’ai déjà dit : presque toutes les questions de la philosophie sont abordées par M. Gérard, et il n’en est presque aucune sur laquelle il n’ait présenté quelque idée importante et nouvelle. Je ne puis me décider à finir sans citer au moins le chapitre sur la liberté (p. 355 et suiv.) et le chapitre sur la spiritualité (p. 471 et suiv.) qui contient une bien intéressante discussion sur la doctrine de M. Herbert Spencer.

Je tiens à redire encore que ce qui caractérise ce livre c’est la conscience. M. Gérard n’a pas voulu s’en tenir aux œuvres publiées de Maine de Biran. Il a voulu connaître les quatorze ouvrages qui restent inédits. Grâce à l’obligeance de M. Naville, il a pu les examiner à loisir. C’est une bonne fortune dont il n’a pas voulu profiter seul, mais à laquelle il a associé le public, au moins pour une part. Autant que j’en puis juger, je trouve qu’il a eu dans son choix la main singulièrement heureuse. Les deux fragments qu’il nous donne sont de la plus haute importance, non-seulement pour l’intelligence de la doctrine de l’auteur, mais au point de vue des questions qui préoccupent le plus vivement aujourd’hui le monde philosophique. Le premier (de 24 pages) a pour titre : Discussion avec M. Royer-Collard sur la réalité d’un état purement affectif. On peut y voir que dès 1813, Maine de Biran s’était préoccupé du rôle que jouent dans la vie les phénomènes, les sensations, les mouvements inconscients. On trouvera p. XVIII et XIX une théorie des sensations et des mouvements