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faire usage de l’expérience, mais chercher dans l’expérience son principe fondamental. Jusqu’à lui, tous ceux qui avaient procédé de la Sorte, Condillac, Hume, étaient arrivés à la négation de toute métaphysique ; quant à lui, il a pensé qu’une telle conclusion n’est nullement nécessaire. Voici donc le problème qu’il s’est posé : « Fonder la métaphysique sur un principe purement expérimental. » Restait à découvrir un pareil principe ; Maine de Biran a cru le trouver dans l’observation du phénomène de l’effort musculaire.

L’effort est un phénomène essentiellement psychologique, puisque c’est un phénomène conscient, mais c’est un phénomène d’une nature toute particulière. L’effort suppose la résistance, car sans la résistance il n’y a pas d’effort ; mais la résistance n’est plus un phénomène psychologique ; c’est un phénomène tout extérieur. La résistance c’est l’organisme s’opposant à l’énergie de la volonté qui tend à le mettre en mouvement. Le phénomène de l’effort place donc en face l’un de l’autre, et pour ainsi dire en contact, la volonté et l’organisme, le moi et le non-moi. Il les fait connaître tous les deux à la fois, et l’on peut même aller jusqu’à dire que seul il peut les faire connaître. Descartes a cru trouver le moi dans la pensée pure, mais c’est une erreur. Le moi n’est vraiment donné que par son opposition avec ce qui n’est pas lui. La pensée pure n’est pas déterminée et en quelque sorte circonscrite. Et d’ailleurs le moi, que l’on croit découvrir en elle, est un moi solitaire, incapable de sortir de lui-même pour découvrir quelque chose qui ne soit pas lui.

C’est ici, je crois, que s’arrête Maine de Biran ; mais quelques philosophes dynamistes sont allés encore plus loin. En développant la doctrine qui vient d’être indiquée, ils ont cru découvrir un principe qui démontre le dynamisme universel.

Supposons, dit ingénieusement l’un d’eux, que deux personnes A et B fassent l’expérience suivante : chacune d’elles appuie la paume de sa main contre la paume de la main de l’autre et fait effort pour la repousser. Si les deux efforts sont égaux, nous avons deux efforts qui se neutralisent et les deux mains restent immobiles. Supposons maintenant que A, au lieu de faire effort contre la main de B, fasse effort contre un objet inanimé, contre un mur ou contre une table ; ce mur ou cette table fera précisément contre sa main le même effet que faisait tout à l’heure la main de B ; et, comme B faisait un effort, on peut dire en toute rigueur, que le mur et que la table font effort aussi. Donc s’il y a des forces animées, on peut dire aussi qu’il y a des forces inanimées.

J’avoue qu’aucun de ces raisonnements ne me semble parfaitement à l’abri de la critique.

D’abord je demande si l’on ne peut pas analyser le phénomène de l’effort autrement que ne le fait Maine de Biran. Quand je veux remuer mon bras, l’effort ne commence qu’au moment où commence la résistance ; cela est accordé. Mais la résistance est un phénomène tout physique, c’est le poids du corps que je veux soulever ou même sim-