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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS




Matthew Arnold. — La Crise Religieuse. (Literature and Dogma). — Germer Baillière et Cie Bibliothèque de philosophie contemporaine.

Il y a, au premier livre de l’Imitation, un chapitre De lectione Sanctarum Scripturarum[1], où il est dit qu’il faut chercher dans les Saintes Écritures la vérité, non la littérature et le style. Je ne sais si avant d’écrire « le Génie du christianisme, » le vicomte de Chateaubriand a longtemps médité cet humble texte. Toujours est-il qu’il n’est pas le seul profane. Ce ne sont même pas les catholiques seuls qui ont commis ce péché d’imagination et de poésie. Les protestants eux-mêmes, les féaux de la Bible pourtant, ont fait comme les signataires du concile de Trente. Eux aussi se sont épris de la religion, pour sa beauté et l’art instinctif qui est en elle. L’Allemagne, d’abord, dans sa conscience inquiète et profonde, a appris, avec Klopstock, Herder, Jacobi, Schleiermacher, à associer l’art et la foi ; à mesure que l’art chez elle devenait une religion, la religion aussi est devenue un art, et le grand conciliateur, venu pour tout unir, Hegel, ne savait plus trop quelle différence les séparait. L’Angleterre, plus précise et plus ferme dans ses croyances, devait résister plus longtemps à cette sorte de confusion, qui, sans doute, lui rappelait Babel : l’esprit puritain, en elle, ne pouvait se laisser entamer sans une lutte, qui, d’ailleurs, n’est pas terminée. En vain Milton avait-il traduit en poëme la doctrine de la chute et de la rédemption ; quoi qu’en dise Boileau, cette poésie était plus religieuse encore que profane. Dans les jours mêmes où la foi anglaise se montra le plus large et le plus libre, elle n’avait point permis que la sincérité dogmatique fléchît en elle, et se changeât en une sorte de culte esthétique. Ni les latitudinaires, ni les Unitariens, ni même les déistes purs n’avaient osé croire autrement que par la conscience et la raison. Que dis-je ? Les poètes, non plus, n’eurent pas cette audace ; et les premiers romantiques, les lakistes, tels que Wordsworth, dans leurs inspirations religieuses, se faisaient scrupule d’être plus croyants que poètes. Comme cet original qui, dans Molière, veut mettre en madrigaux toute l’histoire romaine, Wordsworth a mis l’histoire religieuse en sonnets[2] ; et pour-

  1. Imitation de Jésus-Christ. Livre I, chap. 5.
  2. Ecclesiastical sonnets. (Œuvres poétiques de Wordsworth).