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naville. — hypothèses sérieuses

permet de reconnaître la présence de tel métal ou de tel gaz dans les profondeurs du ciel, elle nous permet de discerner, dans une vapeur, des corps qui, par leur faible quantité, échapperaient aux analyses de la chimie ordinaire. L’analyse spectrale dépasse ainsi tout ce que l’on pouvait attendre du télescope dans un sens, et du microscope dans l’autre. C’est une découverte dont les conséquences sont probablement loin d’être épuisées, et qui permettra de vérifier bien des conjectures dont la vérification était jusqu’ici impossible. L’impossibilité de la vérification, dans les sciences expérimentales, a donc toujours un caractère provisoire et relatif aux ressources dont la science dispose à un moment donné.

Le rapport de l’état général de la science avec les hypothèses possibles et vérifiables explique le fait que, très-souvent, plusieurs savants font simultanément la même découverte, ou énoncent la même théorie. On voit, dans l’histoire de Leibnitz, que, plus d’une fois, il avait fait part de certaines découvertes à Oldenburg, secrétaire de la Société royale de Londres, et qu’Oldenburg lui avait répondu que sa découverte venait d’être faite par un autre, et avait été publiée. Enfin il disputa à Newton, dans une querelle fameuse et regrettable, l’honneur d’avoir découvert le calcul infinitésimal. La planète théoriquement découverte par M. Le Verrier l’avait été aussi, parait-il, par M. Adams. Gay-Lussac et Davy ont prétendu l’un et l’autre à la priorité de la découverte de l’iode. L’hypothèse de la nébuleuse primitive à laquelle est attaché le nom de Laplace, se trouve dans les œuvres philosophiques de Kant que Laplace vraisemblablement ne connaissait pas. Cette simultanéité de plusieurs savants dans la même découverte, ou la même théorie, est un fait fréquent dans les annales de l’histoire, et que la plupart des esprits inventifs connaissent par leur propre expérience. Les accusations de plagiat auxquelles le fait a donné lieu trop souvent, sont généralement fausses. La science peut être comparée à un édifice composé d’étages superposés. Lorsqu’un étage est construit, il sert de point d’appui pour monter à l’étage supérieur ; et il arrive que plusieurs font l’ascension en même temps ; mais le fait a-t-il un caractère nécessaire ? Est-ce qu’à un moment donné du développement de la science, tout le monde va arriver à la découverte qui doit suivre, de même que, lorsque la lune se lève à l’horizon, l’un peut la voir un instant avant l’autre, mais que tous la verront l’instant d’après ? Nullement. Ce qui prouve qu’il n’en est pas ainsi, c’est l’existence d’hypothèses vraies, formulées avant l’époque où leur vérification était possible, et quelquefois très-longtemps avant cette époque. Si les découvertes résultaient nécessairement de la marche de la science.