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naville. — hypothèses sérieuses

rions moins d’hypothèses fausses, moins de querelles vaines et de temps perdu. Tout bien considéré, Liebig a émis une pensée vraie lorsqu’il a écrit : « Les lois morales ont la même valeur dans la science que dans la vie pratique[1]. »

Passons aux conditions des hypothèses sérieuses qui se rencontrent dans l’état de la science. L’état de la science résulte des observations faites, des explications déjà trouvées et vérifiées, des instruments matériels dont le savant peut disposer, enfin des instruments intellectuels, et principalement du développement des sciences mathématiques qui ne sont qu’un instrument pour la science des faits.

Il est manifeste que, pour faire une hypothèse, il faut avant tout avoir connaissance de l’objet sur lequel elle doit porter. Aucune théorie sur la faune et la flore de l’Australie n’a pu précéder la découverte de ce continent ; c’est pourquoi le travail des collectionneurs et des voyageurs scientifiques est la base nécessaire de tous les systèmes d’histoire naturelle. Pour chercher l’explication du mode de vie des animaux microscopiques, la condition préalable était d’avoir le moyen de les voir.

Une base suffisante d’observations est la condition régulière, sans être toutefois absolue, des hypothèses sérieuses. Lorsqu’une classe de faits n’est connue que d’une manière très-générale et vague, le champ des conjectures est tout-à-fait illimité ; à mesure que les observations s’accumulent, la fantaisie perd du terrain. Topffer fait remarquer dans une de ses nouvelles combien les hypothèses géologiques ont des bases peu sûres, puis il ajoute : « C’est précisément par là que j’aime cette science ; elle est infinie, vague comme toute poésie ; elle sonde des mystères, elle s’y abreuve, elle y flotte sans y périr ; elle ne lève pas les voiles, mais elle les agite, et, par de fortuites trouées, quelques rayons se font jour qui éblouissent le regard. Au lieu d’appeler à son aide les secours de l’entendement, elle prend l’imagination pour compagne[2]. » La géologie n’est point assise encore sur des bases inébranlables ; toutefois, depuis l’époque où Topffer a écrit ces lignes, elle a réuni bien des observations sérieuses, et la part de l’imagination qui charmait le conteur genevois y occupe une place moins souveraine.

Par la base d’observation nécessaire aux hypothèses sérieuses, il faut entendre non-seulement les faits constatés, mais toutes les lois solidement établies, qui résument un grand nombre de phénomènes, et prennent à l’égard des développements supérieurs de la science la place qu’occupaient les faits eux-mêmes quant à ses développe-

  1. Lord Bacon, page 127.
  2. La vallée de Trient, dans les Nouvelles Genevoises.