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prétends pas qu’on doive refuser d’écouter Aristote ; j’approuve au contraire qu’on le consulte et l’étudie ; mais ce que je blâme, c’est qu’on se livre à lui comme une proie, et qu’on souscrive en aveugle à toute parole de lui acceptée sans discussion comme un décret invariable »[1].

La voie que suit Galilée est assurément la bonne. Les annales de la science renferment un grand nombre d’idées dont les unes ont été reconnues fausses, les autres vraies, par le moyen de démonstrations valables, et qui ont pris rang ainsi dans le catalogue des vérités ou des erreurs ; mais elles renferment aussi un grand nombre d’opinions qui sont encore à l’état de simples conjectures, l’expérience et le raisonnement n’ayant pas prononcé leur verdict définitif. Lorsqu’une de ces conjectures est marquée du sceau d’un homme de génie, elle acquiert par là même une importance spéciale. Passer en disant : que m’importe ? à côté d’une opinion énoncée par Leibnitz ou par Newton, par Linné ou par Cuvier, dans l’ordre des études qui les ont illustrés, ce n’est pas l’indépendance de la pensée, c’est la fatuité de l’ignorance. Il en est de même des doctrines qui ont reçu l’adhésion d’un très-grand nombre d’hommes compétents, lors même que ces hommes ne seraient pas des esprits de premier ordre. Le manque de respect égare souvent les intelligences. De grands noms, un grand courant d’idées ne font pas que certaines doctrines aient de l’autorité dans le sens absolu du terme (c’était l’erreur des scholastiques), mais signalent des suppositions dignes d’un sérieux examen. En constatant la place de l’hypothèse on se rend compte qu’il doit en être ainsi. Dans le point de vue de l’empirisme ou dans celui du rationalisme, si l’on est conséquent, on rompt avec le passé d’une manière absolue, dès qu’on a brisé le joug de la tradition, et l’on reste livré à ses seules ressources. Une vue juste de la méthode apprend à distinguer une influence légitime d’une autorité indue, préserve du brusque passage d’un asservissement servile à un individualisme téméraire, et met la pensée dans une position d’indépendance qui n’est pas une révolte contre le fait de la solidarité des intelligences.

Les autorités illégitimes qui viennent de nous occuper ne sont pas les seuls obstacles à l’indépendance des recherches. Cette indépendance est menacée aussi par l’influence de dispositions personnelles qui doivent disparaître pour faire place à la loyauté de la pensée.

J’entends par la loyauté de la pensée, une fidélité invariable à la vérité qui doit être la seule souveraine légitime du savant. L’amour-

  1. Galilée, par le docteur Parchappe, page 314.