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de deux ordres d’idées. La foi religieuse n’a rien à faire avec l’étude de la physique, de la botanique et de la zoologie, aussi longtemps que cette foi et ces études demeurent dans leurs domaines respectifs. Cette ligne de démarcation a été souvent méconnue par les théologiens et les autorités religieuses de manière à compromettre gravement l’indépendance des hypothèses scientifiques. À cet égard les exemples abondent. La réalité des antipodes a été condamnée sur l’autorité de Lactance et de saint Augustin. Cette opinion a même été condamnée par le pape Zacharie, ce qui a fait dire à Pascal que le roi d’Espagne s’était bien trouvé d’avoir plutôt cru Christophe Colomb qui revenait des antipodes que le jugement du pape qui n’y avait pas été[1]. La lutte entre la science de la nature et la théologie s’est manifestée avec un grand éclat dans le procès de Galilée. Aux accusations dirigées contre lui, Galilée répondit en citant cette parole du cardinal Baronius : « L’Esprit-Saint a voulu nous enseigner comment on va au ciel et non comment va le ciel. » Il écrivait à la grande duchesse Christine : « Les professeurs de théologie ne devraient pas s’arroger le droit de rendre des arrêts sur des professions qu’ils n’exercent pas, et qu’ils n’ont pas étudiées. Ce serait, en effet, comme si un prince absolu, sachant qu’il peut, à son gré, commander et obtenir l’obéissance, s’avisait, n’étant ni médecin, ni architecte, d’exiger qu’on se conformât à sa volonté en se médicamentant et en construisant, au risque de la mort pour les malheureux malades et d’une ruine inévitable pour les édifices »[2]. Il y a peu d’années, le même point de vue a été développé avec autorité par Richard Owen. Ce savant illustre proclame l’importance extrême, au point de vue religieux, de confiner la théologie dans son propre domaine, et de laisser les sciences expérimentales se développer librement, selon leurs propres méthodes[3].

Les préoccupations religieuses qui risquent de troubler la marche régulière de la science existent encore de nos jours ; elles existent en deux sens opposés, et ne sont pas moins vives dans une direction que dans l’autre. Les controverses relatives à la doctrine du transformisme offrent sous ce rapport un exemple instructif. Certains théologiens ont eu le tort de se prononcer, souvent avec vivacité, sur un problème dont ils connaissaient mal les éléments, et appréciaient mal la portée. Les adversaires des théologiens ne sont pas restés en arrière dans ce débat, en fait de préoccupations passionnées. Plusieurs d’entre eux ont affirmé que les diverses races d’hommes

  1. Provinciales, lettre 13.
  2. Galilée, par le docteur Parchappe, page 134.
  3. The power of god in his animal creation. — Broché, in-12.