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naville. — hypothèses sérieuses

ment la réalité de toutes les conceptions Imaginatives ou sentimentales qui dépassent l’expérience sensible, et renouvellent, avec de légères variantes, l’ancien matérialisme ; d’autres admettent qu’au delà de ce qu’on sait, il est permis de croire. Tel fut par exemple le cas de Stuart Mill, qui a été tancé assez vertement, par MM. Littré et Wyrouboff, pour avoir dit que le mode de penser positif n’interdit pas de croire à la réalité d’une intelligence suprême cause première du monde[1]. Dans tous les cas, on trace une ligne de démarcation profonde et précise entre le domaine de la science qui n’admet que des lois immédiatement observables, et le domaine, qu’on respecte plus ou moins, de ce qu’on nomme la croyance. La distinction est nette, mais elle ne résiste pas à l’examen. L’idée de la science ainsi conçue est prise dans la partie inférieure de la chimie et de la physique. La composition de l’eau, les phénomènes de la réfraction et de la réflexion de la lumière, le mode d’action de la pesanteur donnent lieu à des énoncés scientifiques qui ne sont que l’expression de faits qu’une observation actuelle peut toujours vérifier ; mais si l’on suivait à la rigueur cette conception de la science, tout le passé nous échapperait. J’admets la production des montagnes par un phénomène de soulèvement ; mais cette théorie n’exprime pas un fait susceptible d’une vérification actuelle. J’admets le fait historique de la bataille de Salamine, mais je ne peux pas voir la flotte grecque victorieuse ; il me faudrait pour cela être placé dans une étoile fort lointaine, et être armé d’un télescope fort puissant. L’avenir échapperait comme le passé à une science renfermée dans les faits susceptibles d’une vérification actuelle. On ne croit pas d’une foi bien générale aux prédictions de l’almanach sur la pluie et le beau temps, mais on admet, sans être trompé, ses prévisions pour les éclipses. Il y a cependant dans la prévision d’une éclipse deux éléments qui sortent de l’expérience immédiate et de la simple coordination des faits : les calculs mathématiques, et la foi dans la constance des lois de la nature. Ce qui échapperait enfin à un positivisme conséquent, c’est toute la partie supérieure de la science. Au-dessus des formules qui expriment et coordonnent les faits, se placent les théories qui les expliquent. « L’existence du fluide éthéré, dit M. Lamé à la fin de ses leçons sur l’élasticité, est incontestablement démontrée par la propagation de la lumière dans les espaces planétaires, par l’explication si simple, si complète des phénomènes de la diffraction dans la théorie des ondes. » La démonstration que ce savant déclare incontestable, résulte, non pas de l’observation immédiate

  1. Auguste Comte et Stuart-Mill, par Littré, suivi de Stuart-Mill et la Philosophie positive, par Wyrouboff, brochure in-8. Paris, 1867.