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insuffisante pour faire admettre que ces faits sont réels ; mais son opinion constitue un indice assez sérieux pour appeler l’examen d’une science impartiale. Tout a priori rationnel que l’on voudrait faire intervenir dans le débat serait nul de plein droit. Le fait n’est pas impossible. S’il était dûment constaté, il faudrait l’admettre, lors même qu’on n’entreverrait aucun moyen de l’expliquer. Du reste, le moyen d’explication est ici, non seulement possible, mais facile à entrevoir. Où gît, en effet, la difficulté ? Tout le monde admettra sans peine que les actes de la volonté se traduisent en premier lieu, par un mouvement quelconque dans l’intérieur de l’encéphale. Dans l’ordre habituel des choses, ce mouvement primitif passe du centre aux nerfs, des nerfs aux muscles et des muscles aux objets extérieurs. Il est certain que c’est ainsi que dans la règle, telle qu’elle nous est connue, l’homme intervient comme puissance motrice. S’il fallait admettre que le mouvement primitif par lequel la volonté entre en contact avec le monde corporel, se transmet à des corps placés à distance, et sans aucun intermédiaire, la difficulté serait immense Newton considérait la pensée qu’un corps puisse agir sur un autre à distance et sans intermédiaire comme une absurdité si énorme qu’elle ne saurait être admise par personne capable de raisonnement philosophique sérieux[1]. Je crois, comme le grand astronome, que la transmission du mouvement au contact est la seule intelligible, et que la négation de tout autre mode de transmission devient, dans un esprit scientifiquement cultivé, une sorte d’instinct ; mais le fait de l’action extra-musculaire de la volonté pourrait s’expliquer, sans qu’il fût nécessaire de recourir à l’idée d’une action à distance. Le souffle de notre bouche peut mettre un corps léger en mouvement, sans aucun contact de nos muscles, au moyen de l’air atmosphérique. La matière éthérée, à l’aide de laquelle nos physiciens expliquent la lumière et la chaleur, pourrait être de même l’intermédiaire subtil, mais matériel toutefois, entre un mouvement premier caché dans les profondeurs de l’encéphale et un corps qui n’est point en contact avec nos muscles. Je ne hasarde nullement ici une explication d’un phénomène dont l’existence n’est pas démontrée ; j’indique seulement la voie où pourrait s’en trouver une. Je conclus que le rejet sans examen, à titre d’hypothèse impossible, des faits qui ont fixé l’attention de M. Crookes, serait une erreur de logique.

Pour qu’une hypothèse puisse devenir une vérité scientifique, il ne suffit pas qu’elle soit possible, il faut qu’elle soit véritable. (On me

  1. Lettre à Bentley.