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naville. — hypothèses sérieuses

Pour bien entendre la portée de cet argument, je prendrai un point de comparaison. Un certain nombre de savants contemporains affirment l’identité des phénomènes physiques et des phénomènes vitaux ; c’est-à-dire la production des organismes et leur développement par le seul jeu des forces physiques. Dans l’état actuel des observations, l’hypothèse est hardie ; mais, considérée en elle-même, elle n’a rien d’impossible, si l’on parle de la vie à l’état simple, c’est-à-dire à l’exclusion de tout élément psychique. Il s’agit seulement des transformations du mouvement ; il s’agit de savoir si les agrégats purement matériels qui forment le cristal, peuvent, dans d’autres conditions, former la plante ou le corps de l’animal. C’est à l’étude attentive des faits à prononcer, et l’on ne saurait opposer à la thèse qui réduit la biologie à la physique aucune objection solide fondée sur les lois de la pensée et les données de la raison. Aussi longtemps que l’on demeure dans la considération exclusive du mouvement, toute transformation du mouvement est théoriquement admissible. L’hypothèse de l’identité des phénomènes matériels et de la pensée se présente dans d’autres conditions, comme deux savants de premier ordre l’ont rappelé fort à propos, dans le cours des dernières années. M. Robert Mayer, s’adressant au congrès des naturalistes allemands réunis à Inspruch en 1869, faisait observer qu’identifier la pensée à ses conditions matérielles, est une erreur analogue à celle d’un homme qui, rendant compte des actions physico-chimiques qui se produisent dans les fils du télégraphe, croirait avoir le contenu intellectuel d’une dépêche[1]. M. Dubois-Reymond, s’adressant, cinq ans plus tard, à une réunion de même nature, à Leipzig, signalait avec beaucoup de force et de clarté « l’abîme infranchissable » qui sépare les phénomènes de la matière, non-seulement des manifestations supérieures de la pensée, mais de la plus simple des sensations, de la manifestation la plus élémentaire de l’ordre spirituel[2].

La diversité des deux ordres est contenue, je le répète, dans la démonstration de leurs rapports, et conclure de ces rapports, qui supposent la différence, à l’identité est un paralogisme. L’hypothèse matérialiste, sous la forme où je l’ai indiquée, peut donc être rejetée, sans autre examen, comme impossible en soi. Quant à l’affirmation des savants qui, comme M. Dubois-Reymond, après avoir reconnu et proclamé la diversité essentielle des phénomènes de la matière et de l’esprit, affirment que le mécanisme de la matière produit la pensée[3],

  1. Revue des cours scientifiques du 22 janvier 1870.
  2. Revue scientifique du 10 octobre 1874.
  3. Voir un discours sur les bornes de la philosophie naturelle, contenu dans la Revue scientifique du 10 octobre 1874.