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vent pas prétendre à l’exactitude. Même au point de vue quantitatif, la certitude n’est pas identique à l’exactitude. Je puis être complètement certain qu’un bloc de marbre est plus grand qu’un autre, voulant dire par là qu’il me produit l’impression d’un plus grand volume, mais je ne puis pas savoir de combien il est plus grand sans interpréter ma sensation par une mesure fixe de quantité — celle-ci représentant la grandeur de la différence. — Il est inutile d’insister sur les avantages immenses d’une mensuration exacte. Les sciences biologiques, qui sont essentiellement des sciences de classification, ne peuvent jamais rivaliser pour l’exactitude avec les sciences cosmologiques ; mais elles peuvent conduire à une connaissance plus complète, et leur certitude prendra de plus en plus le caractère de l’exactitude à mesure que leurs méthodes de mensuration seront appliquées à leurs classifications des qualités. Les aspects qualitatifs et quantitatifs des phénomènes sont étudiés à l’aide de deux grands instruments, la logique et les mathématiques, ces dernières étant seulement une forme spéciale de la première. Ces deux sciences précisent les conceptions générales dérivées de nos perceptions, et le tout constitue l’expérience.

À quelle conclusion conduisent ces considérations ? C’est que si l’on sépare l’aspect quantitatif de l’aspect qualitatif des phénomènes — l’objectif mécanique du subjectif psychologique — on a recours à un artifice logique indispensable à la recherche scientifique — mais ce n’est qu’un artifice[1]. Par suite de cet artifice, chaque science spéciale doit être regardée comme la recherche de résultats analytiques spéciaux. En attendant on devrait respecter cette méthode et ne tolérer aucune confusion entre les limites qui séparent une science d’une autre. Il ne faut pas jeter la confusion dans les problèmes mécaniques en y introduisant des relations biologiques. Les problèmes biologiques ne doivent pas être restreints à des relations mécaniques. Je ne veux pas dire que les relations mécaniques existant dans les phénomènes biologiques ne doivent pas être soumises à l’investigation et exprimées en termes de mécanique, quand on les aura trouvées ; je veux simplement dire qu’une telle investigation doit être strictement limitée à des relations mécaniques. Quand on recherche les relations objectives, il ne faut pas nier les relations subjectives, parce qu’elles sont provisoirement mises de côté ; mais nous devons soigneusement distinguer lequel des deux ordres nous

  1. Le lecteur comprendra que les relations mécaniques, tout en étant des modes de sensation comme toutes les autres relations, ont cependant un aspect exclusivement objectif se rapportant à des objets idéalement détachés des sujets.