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d’autres rapports avec d’autres individualités réelles. C’est là la première erreur. La seconde est de négliger la présence constante de la réalité objective dans tout fait de sensation : le non-moi est absolument présent dans tout phénomène de conscience du moi.

La conclusion légitime n’est ni celle du dualisme ni celle de l’idéalisme, mais ce que j’ai appelé le réalisme raisonné (Problèmes, vol. I, p. 176). Celui-ci réconcilie le sens commun avec la logique spéculative en montrant que, quoique la vérité des choses (leur Wahrheit) soit précisément ce que nous y voyons (notre Wahrnehmung), leur réalité n’est pas seulement cela, mais bien plus que cela. Les choses sont ce qu’on les sent être, et ce qu’on les pense être, quand les pensées sont les symboles des perceptions. L’idéalisme déclare qu’elles sont cela et rien d’autre. C’est contre ce rien d’autre que le sens commun proteste ; et la protestation est justifiée par le réalisme raisonné qui, examinant les faits dans leur ensemble, répond ainsi à l’idéaliste : « Votre synthèse est imparfaite, puisqu’elle ne renferme pas toutes les données — elle exclut notamment le fait d’un élément objectif ou du non-moi dans toute sensation. Vous pouvez, sans nul doute, regarder l’univers entier uniquement comme une série de changements dans votre conscience ; mais vous ne pouvez pas espérer me convaincre que je suis moi-même seulement un changement en vous-même — ou que mon corps est seulement une image passagère dans votre esprit. Aussi, malgré ma conclusion que le non-moi ne peut être dans mon opinion comme dans la vôtre ni séparé du moi ni disjoint de la sensation, en’tant qu’il est senti, cependant il faut qu’il y ait pour nous deux une existence qui n’est pas entièrement coextensive avec la nôtre. Mon monde peut être le tableau que je m’en fais, votre monde peut être la représentation que vous vous en faites, mais tous les deux présentent un point commun qui est plus que l’un et l’autre — quelque chose qui existe et qui a des relations différentes avec l’un et l’autre. Vous n’êtes pas moi, et le cosmos représenté n’est pas moi, quoique je me le représente. En vous regardant ainsi que ce cosmos, je vois un tout immense dont vous êtes une petite partie ; et je conclus que moi aussi je suis une partie semblable. C’est à la fois une représentation et la chose représentée, quelque chose d’objectif et de subjectif à la fois. À mes yeux tous vos modes d’existence sont des aspects objectifs auxquels, d’après ma propre expérience, doivent correspondre des aspects subjectifs, de sorte que vos émotions, qui pour moi sont des faits purement physiques, sont pour vous des faits purement mentaux. Et l’analyse psychologique m’assure que tous les faits physiques sont des faits mentaux exprimés en termes objectifs, et que les