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lewes. — marche de la pensée moderne

matière et la force ; de l’autre côté, un groupe différent : la sensation et la pensée : entre les deux un gouffre infranchissable. Comment les deux groupes entraient-ils en relation l’un avec l’autre ? comment agissaient-ils l’un sur l’autre ? C’étaient là des questions écartées comme un mystère insoluble ou reléguées dans le domaine de la métaphysique pour les esprits qui aimaient à s’occuper de problèmes que l’expérience ne pouvait résoudre. La physique, confiante dans la possession de méthodes mathématiques et expérimentales qui fournissaient des réponses définies à des questions restreintes à un cercle limité, refusait péremptoirement d’écouter aucune suggestion de ce genre. Et la carrière de la physique était si triomphante que le succès semblait justifier son indifférence.

De nos jours cette école analytique a commencé à étendre ses méthodes jusqu’au groupe mental. Ayant soumis tout le groupe objectif à la méthode mathématique, elle cherche maintenant à attirer dans son domaine le groupe subjectif. Non-seulement il y a eu plus d’un essai de psychologie mathématique ; mais on a tenté d’une manière générale de réduire la sensibilité, sous son aspect subjectif aussi bien que sous son aspect objectif, à un mouvement moléculaire. Ici encore les faits de qualité sont transformés en faits de quantité ; et toutes les différences entre les sensations sont interprétées comme de simples différences quantitatives.

Voilà le point où est arrivée une des écoles. Mais pendant que cette conception théorique dépouillait la nature de conscience, de motifs et de passions, la regardant seulement comme un agrégat de relations mathématiques, une philosophie critique était à l’œuvre qui, analysant la nature de la perception, avançait rapidement vers un autre but. Locke, Berkeley, Hume et Kant s’appliquant exclusivement à analyser l’aspect subjectif des phénomènes, renversèrent promptement les barrières entre le physique et le mental, et peu à peu firent disparaître le premier dans le dernier. La matière et ses qualités, acceptées jusque-là comme des réalités indépendantes existant là où aucune intelligence ne les percevait, étaient maintenant considérées comme des créations de l’esprit — leur existence était limitée à un état de l’être qui les percevait. L’ancien dualisme était remplacé par l’idéalisme. Le cosmos, au lieu de présenter un problème de mécanique, présentait maintenant un problème de psychologie. Commençant avec ce qu’on appelle les qualités secondaires de la matière, l’analyse psychologique les réduisait en modes de sensation, « La chaleur que le vulgaire imagine être dans le feu, et la couleur que l’on croit être dans la rose n’y sont pas du tout ; mais elles sont en nous de simples états de notre organisme. » Une