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fique de la matière inerte, dépourvue de sensations ; il est certain que jamais ni les animaux ni les sauvages n’y arriveront. Mais aussitôt que les conditions de la vie eurent été reconnues, on aperçut la différence entre les mouvements vitaux et mécaniques. Quand les hommes apprirent qu’un grand nombre de leurs actions n’étaient accompagnées ni de l’amour ni de la haine, ni de plaisir ni de douleur, et que beaucoup d’entre elles étaient produites sans intention consciente, ils arrivèrent facilement à la conclusion que partout où les conditions spéciales de la sensation étaient absentes, les actions devaient avoir quelque autre moteur. L’intelligence, l’émotion, la volition et la sensation ayant été peu à peu attribuées à une seule classe de corps, à l’exclusion des autres, il ne resta à ceux-ci que la matière insensible et le mouvement. Telle fut la conception théorique que la science substitua à la notion première. Elle était aidée par l’observation de la tendance erronée qui induisait à interpréter les phénomènes physiques d’après le type des phénomènes humains en mettant des fantaisies à la place des faits, en établissant l’ordre de l’univers d’après certaines idées sur ce qui pouvait ou devait être. Aussi la nouvelle école a-t-elle supprimé avec soin tout ce qui appartient à l’aspect subjectif des phénomènes, et a-t-elle demandé avec insistance une classification objective avec l’espoir d’arriver à la connaissance des choses telles qu’elles sont. En enlevant ainsi à la nature la vie et l’intelligence et en ne voyant dans la nature que le mouvement et les lois du mouvement, on obtint deux grands résultats scientifiques, à savoir : la classification des conceptions et la précision des termes. Les phénomènes objectifs firent une classe à part et on s’efforça surtout de trouver une expression mathématique pour toutes les variétés comprises dans cette classe. On concevait les masses comme des agrégats d’atomes et ceux-ci étaient réduits à des points mathématiques. Les forces étaient seulement des modes divers du mouvement. Toutes les innombrables différences que la perception reconnaissait comme des qualités dans les choses étaient transformées en de simples variations de quantité. Tout ce qui était particulier et concret devenait, grâce à l’analyse, général et abstrait. Le cosmos présentait seulement un problème de mécanique.

Pendant cette évolution, l’ancien dualisme (qui concevait un univers matériel nettement distinct de l’univers intellectuel) maintenait son terrain et atteignait même une plus grande précision. La distinction logique entre la matière et l’intelligence était acceptée comme une distinction essentielle, c’est-à-dire représentant des réalités distinctes. Il y avait d’un côté un groupe de phénomènes : la