Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
355
beurier. — philosophie de m. renouvier

« sans lesquelles rien de représenté ne subsiste », et les analogies, c’est-à-dire les conclusions qui se fondent sur celles de l’activité interne. On peut parler de projections à propos de celles-ci, non à propos de celles-là. Je vois d’un côté, comme dirait Kant, des lois ou formes universelles de connaissance que me révèle la simple analyse du moindre phénomène, tandis que les catégories de la personne sont une certaine matière offerte à la connaissance dans des données universalisables[1].

Ce qui est vrai, c’est que les lois de la représentation ne peuvent pas être séparées in concreto de la spontanéité représentative. Kant l’a trop oublié, bien qu’il ait placé la conscience à la racine des catégories. Du moins, celles-ci ont une admirable unité rationnelle : elles sont absolument pures de toute matière et il n’y a pas un seul phénomène, du moment qu’il est pensé, qui ne le soit sous toutes à la fois. M. Renouvier est fidèle à l’esprit du criticisme, lorsqu’il élargit le système kantien, en l’ouvrant à la finalité et à la causalité, envisagées dans l’ordre des phénomènes. Ce n’est pas là, il s’en faut, le reproche que je lui fais. Je me borne à dire que son système des catégories ne m’offre pas une assez grande unité, que le caractère rationnel de quelques-uns n’est pas assez mis en lumière, que le caractère empirique de quelques autres est trop effacé, et cela parce que l’auteur ne s’est pas suffisamment attaché à la féconde distinction établie par Kant entre la matière et la forme du connaître.

Encore la matière et la forme ne suffisent-elles pas à expliquer la connaissance, car dans la forme il y a deux éléments irréductibles. Je m’explique. La représentation représente tout et se représente à elle-même : à toute chose, à toute matière elle donne ses formes ; en elle-même, elle trouve des forces. Mais l’énergie par laquelle elle est ce qu’elle est, cette ultime fonction, dont la reconnaissance est, pour le criticisme conséquent, le dernier mot de la connaissance, suit spontanément ou se crée librement, peu importe ici, certaines lois psychologiques ou logiques, qui n’altèrent jamais les formes essentielles de la représentation, mais qui, du sein de ses formes, peuvent faire surgir, avec différents degrés de netteté, les relations des phénomènes et les relations de ces relations et d’autres encore indéfiniment. On ne saurait donc en vouloir à Kant d’avoir distingué : 1° la sensibilité, dont les confuses synthèses sont purement animales ; 2° l’entendement, qui crée les jugements clairs ; 3° la raison,

  1. Je devrais même dire : « des données peut-être universalisables, » car il s’agit ici bien moins d’une loi qui s’impose que d’un problème qui se pose, et la preuve en est, pour prendre un argument familier à l’auteur des Essais, que la finalité a soulevé de tout temps d’interminables discussions.