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confusion et de l’obscurité de ses écrits. Il remarque, avec beaucoup de justesse, que plusieurs jugements font double emploi : ainsi le jugement catégorique proprement dit ne diffère pas de l’assertorique, ni l’hypothétique du problématique ; de plus l’hypothétique et le disjonctif sont de véritables raisonnements. Ajoutons que les jugements de qualité (affirmatif, négatif, limitatif) appartiennent à toutes les catégories.

D’un autre côté, il signale dans l’œuvre kantienne des lacunes qui sont, à son avis, des plus regrettables : ainsi : l’oubli du devenir, de la finalité, de la relation, enfin et surtout de la personnalité ou conscience. Cette discussion nous entraînerait dans l’examen du système propre à M. Renouvier. Contentons-nous d’observer dès maintenant que Kant, dans la Critique de la raison pure, est loin d’avoir oublié la conscience, ou, comme il l’appelle, « l’unité primitivement synthétique de l’aperception. » Il n’en fait pas une catégorie, il est vrai, il l’élève à un rang plus haut en la considérant comme la racine commune de toutes les catégories. « L’unité synthétique de l’aperception, dit-il, est le point culminant auquel on doit rattacher toute opération intellectuelle, toute logique même, et d’après elle toute philosophie transcendantale. Il y a plus : Cette faculté est l’entendement lui-même[1]. » Il est difficile, on en conviendra, de s’exprimer avec plus de force et plus de netteté. Les autres critiques générales formulées contre la classification de Kant sont-elles mieux fondées et peut-on les accepter sans atténuation ? C’est ce que nous verrons bientôt : faisons d’abord connaître les catégories de M. Renouvier.

Voici comment il pose la question : « Construire le système des rapports généraux des phénomènes, élever un édifice dont ces rapports déterminent les lignes principales, si bien que les faits connus ou à connaître y aient tous leur place marquée ou supposée, c’est le problème général de la science. Les rapports et les lois ne sont donnés que dans la représentation ; la représentation elle-même se règle par des lois que, en tant qu’expérience, elle vérifie et ne donne pas ; les lois générales de la représentation sont les catégories. Un système de catégories complet, lumineux, si bien agencé que sa propre loi parût lui servir de preuve et que l’esprit, une fois engagé dans l’admirable labyrinthe, s’y trouvât comme invincible

  1. Critique de la raison pure, I, p. 155, note (traduction Tissot). Voir d’ailleurs les longs développement donnés à cette théorie dans l’analytique des concepts, section II. Cette section a été, il est vrai, profondément remaniée, de la 1re  à la 2e  édition, mais la 1re  est également très-affirmative sur le point qui est ici en discussion.