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trement si l’on fait du temps un continu en soi, de l’espace un continu en soi. On se demandera comment un nombre sans nombre de parties d’étendue peuvent être parcourues en fait et un nombre sans nombre de parties de durée, s’écouler en fait. À cette question indiscrète, les partisans de la chose en soi n’ont jamais répondu. Il y a contradiction dans les termes[1]. » C’est cette contradiction qu’aurait vue Zenon d’Élée dans ses deux célèbres arguments : La flèche qui vole et l’Achille. L’auteur des Essais les reprend, les corrige, les complète, et il déclare qu’ils sont absolument irréfutables pour ceux qui érigent en choses en soi le temps et l’espace. Cette discussion est des plus intéressantes : mais il faut la lire dans le texte même[2].

Si nous passons du représenté au représentatif, il y a lieu tout d’abord d’observer que les phénomènes de ce nouvel ordre (sensations, jugements, passions, etc.), sont tous dans le temps et que directement ou indirectement ils se rattachent à la représentation de l’espace. On peut montrer ensuite que la conscience n’est rien en dehors de la suite des représentations qui ont toutes pour propriété commune de se dédoubler et de pouvoir se représenter à elles-mêmes : le moi, en dehors des représentations dont le dédoublement le constitue, n’est rien. D’ailleurs, sans recourir à toutes ces analyses, on peut dire : « Ou nous parlons de choses (et de quoi parlerions-nous ?) en tant qu’elles représentent et sont représentées sous forme objective ou subjective d’ailleurs ; ou nous parlons de choses en tant qu’elles ont de tout autres rapports, ou qu’elles n’en ont aucun ; mais en tant qu’elles représentent et sont représentées, les choses se confondent avec les représentations ; et en tant qu’elles ont de tout autres rapports ou qu’elles n’en ont aucun, elles n’apparaissent pas et sont comme n’étant pas ; donc les choses sont des phénomènes quant à la connaissance, et les phénomènes sont les choses[3]. »

Réfutation des antinomies de Kant. — Je n’ai pas besoin d’exposer ici dans le détail les antinomies kantiennes. On le sait, Kant a essayé de prouver que la raison théorique, lorsqu’elle veut spéculer sur les limites du temps et de l’espace, sur la spontanéité originelle des phénomènes (liberté) ; sur une condition première conditionnant toute existence phénoménale (causalité), est forcément amenée à deux conclusions contradictoires par des raisonnements également inattaquables. Cette contradiction est fondée sur ce que l’esprit humain est obligé en tout sujet de s’arrêter et qu’en même temps il ne le peut, porté qu’il est par une loi de sa nature à penser un espace

  1. Logique, I, 65.
  2. Logique, I, 67.
  3. Logique, I, 95.