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ce postulat que si la métaphysique ne porte pas en elle-même ses titres de créance, la science du moins est certaine. La question se pose donc ainsi pour Kant : « la science étant réelle, comment est-elle possible ? il y a des vérités universelles et nécessaires : quelles en sont les conditions transcendantales ? » M. Renouvier n’a garde de procéder aussi rapidement et d’oublier que le scepticisme et le probabilisme sont les authentiques et respectables ancêtres de la doctrine critique. Il part donc du simple fait de la représentation et la certitude est pour lui, dans les limites où il la détermine, non un point de départ, mais un point d’arrivée.


Il trouve deux grands avantages à procéder ainsi. D’abord, en supprimant le noumène, il échappe à cet idéalisme qui pour être appelé transcendantal n’en conduit pas moins à l’idéalisme transcendant que Kant n’a pas réfuté. Le noumène une fois admis, quoique inconnaissable, comme la réalité en soi, le monde au milieu duquel nous vivons et dont nous faisons partie n’est plus qu’une vaine apparence, qu’une ombre sans consistance. Mais plaçons-nous au centre de la représentation, n’acceptons qu’elle, puisqu’elle seule est connue et fait tout connaître, puisque rien d’autre n’est pour nous, et déclarons-la, d’accord avec l’instinct populaire, la vraie réalité. Les phénomènes sont alors les choses elles-mêmes : les choses apparaissent, cela va sans dire, mais elles ne sont pas des apparences. On a donc le droit de conclure que « les représentations seules étant données, seules elles sont des choses[1] et que dès lors les choses en soi n’existent pas, si ce n’est que les représentations se nomment choses en soi. Quand je dis, n’existent pas, j’entends pour la connaissance au moins possible. S’il est une autre existence, que négligeons-nous ?… Le seul argument que je connaisse dans les œuvres de Kant en faveur de l’existence du noumène séparé de tout phénomène, c’est que du moment que quelque chose apparaît (phénomène), il faut qu’il y ait quelque chose (noumène) qui apparaît. Mais c’est un pur jeu de mots. L’unique sens que toute mon attention y discerne est celui-ci : si des choses apparaissent, il faut aussi que quelque chose existe indépendamment des qualités et actes d’apparaître (tant de s’apparaître à soi que d’apparaître à autrui). Je comprends l’énoncé, à la vérité, mais c’est tout ; je ne vois nul motif à l’appui, rien qui sollicite mon assentiment, et je me retrouve avec ma parfaite impuissance de concevoir le noumène à part du phénomène[2]. » Ainsi l’idéalisme est écarté.

  1. M. Renouvier dit sujets, conformément à sa terminologie.
  2. Logique générals, I, 43.