Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
beurier. — philosophie de m. renouvier

surtout imposé la mission de détruire : c’est un véritable iconoclaste et il serait presque tenté de se proclamer athée si un scrupule ne l’arrêtait : « Aussi bien que la psychologie métaphysique, si mal appelée rationnelle, la théologie s’évanouit en présence de la critique dont le vrai nom à cet égard, serait l’athéisme, si, borné au domaine de la science pure, ce mot n’excluait aucune croyance légitime et ne servait à couvrir des doctrines aussi peu fondées que celles qu’il prétend désavouer[1]. » Le phénoménisme et l’évolutionisme ne trouvent pas plus grâce aux yeux de M. Renouvier que le dogme de la substance : presque toutes les grandes discussions auxquelles il s’est livré soit dans ses ouvrages soit dans sa revue, sont dirigées contre les thèses de l’école anglaise. Ce n’est pas qu’il ne rende justice au « génie » de Darwin, et à l’incontestable vigueur d’esprit, à l’incomparable talent d’exposition de Mill, de Spencer, de Bain ; il reconnaît même que leurs travaux sont le plus souvent dans la vraie direction scientifique ; mais il fait une guerre acharnée aux principes fondamentaux de leurs théories transformistes au fond desquelles il ne voit qu’une restauration malheureuse et injustifiable du vieux panthéisme ionien. Ce n’est pas là le côté le moins intéressant de son œuvre : en un temps où les esprits sont si généralement portés à accepter de vagues, fausses, ou hypothétiques assimilations pour des explications acquises et définitives, M. Renouvier fait une œuvre vraiment scientifique quand, armé de son impitoyable logique, il rétablit en tout sujet les distinctions nécessaires imposées à l’esprit humain par les lois mêmes de la connaissance et le principe de contradiction. Ajoutons, ce ne sera que justice, qu’il est un merveilleux polémiste quand il prend corps à corps les doctrines de ses adversaires. En vrai disciple de Kant, il a au suprême degré le mérite de savoir poser les questions et c’est là une inappréciable qualité philosophique.

Sa polémique est généralement négative : elle accuse surtout les dissentiments de l’auteur vis-à-vis des doctrines qui nient ou qui tout simplement présentent d’une autre manière que lui les principes et les résultats auxquels il s’est attaché. Les tentatives de rapprochement et de conciliation ne sont pas son fait, aussi pourrait-on croire parfois, tant il y met d’ardeur, qu’il détruit pour le plaisir de détruire et de ne laisser rien debout. Il n’en est rien : il ne faut pas oublier que toutes les discussions qu’il soulève ont pour but principal de servir d’éclaircissements à ses propres idées par la méthode des contrastes et des oppositions. Il est regrettable qu’il n’ait pas

  1. Logique générale, III, 252.