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n’a creusé avec plus d’angoisses ni résolu d’une manière plus originale le problème de la liberté.

« C’est lui, dit M. Renouvier, qui m’a fait comprendre l’idée de liberté dans toute son intégrité ; c’est lui qui a fait tomber un certain jour l’écaille de mes yeux, qui m’a montré la faiblesse des doctrines dont j’étais l’adhérent, même involontaire, et m’a appris ce que c’est que liberté, ce que c’est que certitude, et qu’un agent moral est tenu moralement de se faire des convictions touchant des vérités dont les penseurs rationalistes ont la mauvaise habitude de mettre la preuve sur le compte de l’évidence et de la nécessité. À de si grands services que je dus à la patience du maître et qui prirent beaucoup de temps, j’ajoute l’enseignement de la juste importance à attacher, pour la question de la certitude, à la distinction fondamentale introduite par Kant entre deux espèces de jugements qu’on regardait comme nécessaires et comme également nécessaires avant ce philosophe. »

M. Renouvier parle ici de la distinction entre les jugements analytiques et les jugements synthétiques à priori. « Ce fut là pour moi, ajoute-t-il, le point de départ d’une étude des deux critiques, par laquelle j’arrivai à saisir le sens, presque universellement méconnu en France comme dans la patrie même de Kant, le sens de la suprématie de la raison dite pratique pour l’établissement de tout ce qu’il est possible à l’homme d’atteindre des vérités au-delà des lois d’ordre vérifiable de phénomènes. »

À partir de ce moment, notre auteur avait sa voie trouvée et tracée : mais, en étudiant Kant avec une attention de plus en plus grande, il ne tarda pas à reconnaître que le père du criticisme avait été plus d’une fois infidèle à ses propres principes et que d’autre part il n’en avait pas tiré toutes les conséquences possibles : de là les Essais de critique générale, de là aussi la Critique philosophique dans le prospectus de laquelle on peut lire ces quelques lignes qui indiquent nettement le but poursuivi par MM. Renouvier et Pillon : « La Critique philosophique est l’organe d’une grande doctrine, née de l’esprit du xviiie siècle et de la révolution française, dont les principes ont été posés par Kant, et qui se présente aujourd’hui dégagée des contradictions et des erreurs qui l’obscurcissaient à l’origine et qui avaient nui à ses progrès, renouvelée par une nouvelle analyse des lois de la pensée et des moyens de la connaissance qui lui a donné ce qu’elle n’avait pas reçu de Kant, un caractère vraiment positif et une complète et harmonieuse unité systématique. »