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ANALYSES. — hartmann.Réalisme transcendantal.

III. le sujet transcendantal. Kant n’est pas encore parvenu à saisir la réalité dont le besoin le poursuit. Réussira-t-il mieux à sortir de la pure phénoménalité par la doctrine du sujet transcendantal, que par celle de l’objet transcendantal ? Sous le nom de sujet transcendantal, il désigne l’âme ou le moi pensant, c’est-à-dire « l’objet transcendantal du sens interne » (den transcendantalen Gegenstand des inneren Sinnes). Le sujet transcendantal n’est donc qu’un cas de l’objet transcendantal : et toutes les critiques que nous avons dirigées contre le second s’appliquent très-bien au premier. — Kant se croit à l’aise pour établir la réalité du sujet transcendantal, en s’appuyant « sur la synthèse transcendantale de la perception, » c’est-à-dire sur l’unité formelle de la conscience. Mais le « je pense », comme fonction synthétique de la pensée, suppose le temps : et le temps n’est pas une détermination de la chose en soi. Le je pense, le moi pur (reine Ich), n’est donc pas un noumène, une réalité transcendante. Toutes les hypothèses, que Kant a faites successivement pour démontrer la possibilité dé l’expérience, c’est-à-dire établir la réalité indépendante du moi, des objets de nos perceptions, n’ont réussi qu’à resserrer de plus en plus étroitement les liens qui emprisonnent la pensée dans le monde de la pure phénoménalité. La réalité sensible n’est plus seulement pour nous le songe d’un rêveur, mais un songe où le rêveur n’a pas plus de réalité que le songe lui-même. Et ce n’est pas assez dire. Le songe lui-même n’est pas un véritable songe, c’est un songe sans réalité, « puisque l’acte de rêver ou de penser, à cause de sa forme, la durée, ne doit être considéré que comme une vaine apparence » (Schein), sans réalité correspondante. Nous sommes donc perdus dans l’illusion absolue. — M. de Hartmann n’a pas de peine à montrer, en terminant ce chapitre, que Schopenhauer était condamné à n’atteindre pas mieux que Kant la chose en soi, puisqu’il partait des mêmes prémisses.

IV. la cause transcendante. Ces hésitations que nous présente l’esprit de Kant, partagé entre ses tendances réalistes et les principes idéalistes de l’Esthétique et de l’Analytique, nous expliquent la persistance au sein de son école de deux courants opposés. Positivistes et idéalistes trouvent également dans ses écrits de quoi autoriser leurs affirmations contradictoires. Nous venons de montrer, dans les chapitres précédents, que l’idéalisme de Kant conduit logiquement à l’illusion absolue. Essayons, sans nous préoccuper autrement de cet idéalisme, de développer les germes de réalisme que la doctrine contient ; et voyons dans quelle mesure nous pouvons concilier avec les exigences du réalisme les principes kantiens de la théorie de la connaissance. Il s’agit de reconnaître indirectement à la perception, pour la distinguer de l’imagination, une réalité plus que subjective ; et, par là, de lui assigner la dignité d’une manifestation phénoménale de l’être, au lieu de ne voir en elle qu’une pure apparence sans fondement.

Il faut trouver l’objet transcendant de la perception, et justifier par