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d’avoir agi contre la convenance avec notre nature, d’être déchus du rang que nous devions garder, semblables non plus à des hommes, mais à des êtres dénués de raison, abandonnés sans frein à leurs passions, semblables à des brutes et non à des hommes ? Que de vérité et d’énergie dans ce mot d’abrutissement qui désigne l’homme déchu par sa faute de sa dignité d’homme et tombé au niveau de la brute ! On ne dit pas moins bien, dans le langage ordinaire, d’un homme qui a commis une faute, qu’il s’est méconnu. Il s’est méconnu en effet, n’ayant pas agi comme il le devait en sa qualité d’homme, n’ayant pas agi en homme. « Le jugement du bien et du mal, a dit Cousin, qui n’a pas toujours parlé d’une manière si peu métaphorique, ne repose que sur la constitution même de la nature[1]. » Sauvegarder en soi la dignité d’être raisonnable, devenir, demeurer toujours véritablement un homme, dans la vraie et haute signification du mot, voilà toute la morale, voilà la loi et les prophètes.

On s’inquiète beaucoup trop, à ce qu’il nous semble, dans l’intérêt de la morale, des théories qui prétendent faire descendre l’homme des animaux. Leur vérité fût-elle démontrée, ni notre dignité ni aucun de nos devoirs n’en souffrirait aucun préjudice. Il ne s’agit pas en effet, pour déterminer ce que nous devons faire, de savoir ce que nous avons été, mais bien ce que nous sommes. Quand il y aurait eu des singes dans notre arbre généalogique, quand, en remontant encore plus haut, on y rencontrerait des mollusques, je ne vois pas que cela ôte quoi que ce soit au degré actuel de notre excellence, et par conséquent à nos obligations et à nos devoirs. La règle à suivre est dans l’homme tel qu’il est aujourd’hui et non dans l’homme tel qu’il était, s’il est permis de parler ainsi, quand il n’était pas encore. L’avilissement, comme la noblesse, ne vient pas de nos ancêtres, quels qu’ils soient, mais uniquement de nous-mêmes.

Plusieurs ont dit, parmi ceux dont les doctrines nous inspirent d’ailleurs le plus de sympathie, que rien d’humain n’oblige. Nous osons protester contre une maxime qui, malgré la bonté de l’intention et la sainteté des dehors, nous semble fausse et dangereuse. Si rien d’humain n’oblige, par quoi donc, par quelles voies et par quels organes, comment serons-nous obligés ? Le divin lui-même peut-il donc se manifester à nous autrement que dans l’homme, au travers de l’homme, et par l’homme ? Si rien d’humain n’oblige, comment les hommes, dans n’importe quelle religion, ou même, comme

  1. Du vrai, du beau, du bien.