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bouillier. — de la règle des mœurs.

ciens, voilà le grand précepte qui, bien compris, doit enfermer la morale tout entière, tous les devoirs et toutes les vertus.

On a quelquefois agité la question de savoir à quel degré d’âge, à quel degré de civilisation, un individu commence à devenir un être, moral, responsable de ses actions. Nous croyons que ce grand devoir d’agir conformément à notre nature, précisément parce que nous le portons avec nous, et au-dedans de nous-mêmes, s’impose à tous, sans exception, même aux sauvages les plus voisins de la brute, même aux enfants, dès une époque que nous ne prétendons pas déterminer, mais certainement avant l’âge de raison marqué par les théologiens. Nous dirions volontiers avec Descartes, que l’idée de justice est contemporaine de l’idée de nous-mêmes. Avec la faculté de se guider, quelque faible qu’elle soit encore, faculté qui comprend à la fois deux choses, un certain degré de liberté et de lumière, commence l’obligation d’agir conformément à ce que nous sommes, obligation qui ira en s’éclairant et en croissant, au fur et à mesure de la révélation progressive de l’homme à lui-même, par la conscience de plus en plus complète de sa nature et de la dignité qui lui est propre.

On a pu reprocher à Jouffroy de n’avoir pas fait assez exactement la détermination de cette nature qui est la forme même du bien. Par là, il s’est attiré des objections et des critiques que nous espérons éviter. En effet il a eu le tort de comprendre en bloc, pour ainsi dire, dans notre nature tous les éléments qui sont en nous, comme s’ils y étaient tous au même rang, comme s’ils étaient tous de même valeur. Tout ce qui est dans l’homme est bien de l’homme sans doute, mais n’est pas ce qui fait véritablement partie intégrante de sa nature propre, c’est-à-dire de ce qui le caractérise entre tous les êtres de l’univers.

Voici, en effet, la méthode tracée par l’auteur du Cours de droit naturel. Il suffit, dit-il, pour savoir quelle est la nature de l’homme, de faire un exact dénombrement de ses tendances primitives et des facultés par où elles reçoivent satisfaction. S’il y en a dix, il faut en faire entrer dix, ni plus ni moins, dans notre nature. Mais qu’une seule soit omise, il résultera une notion fausse et incomplète de notre nature et, par une inévitable conséquence, une notion fausse de notre bien et de nos devoirs.

En plaçant de la sorte indistinctement dans la satisfaction de toutes nos tendances l’accomplissement de la fin de l’homme et son bien, sans marquer assez nettement la différence entre les unes qui doivent prédominer et les autres qui doivent être combattues et maintenues à un rang inférieur, Jouffroy a encouru, de la part d’un cer-