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bouillier. — de la règle des mœurs.

montré, à travers tous ces changements, des traces persistantes dans la conscience humaine de quelque chose qui n’a pas cessé d’être bien et mal, depuis qu’il y a des hommes, et de faire partie d’un symbole de morale commun à toute l’humanité de tous les temps et de tous les lieux. Nul, en dernier lieu, n’a mieux fait cette démonstration que M. Janet qui Fa si bien renouvelée et fortifiée dans son ouvrage sur la Morale. Nous croyons inutile d’y revenir ; nous l’acceptons comme bien faite et nous passons outre, pour rechercher quelle est cette règle des mœurs qui n’a jamais cessé de s’imposer à l’homme, sur quoi elle se fonde et d’où elle tire son immutabilité.

Parmi les systèmes idéalistes ou spiritualistes, qui ont le mérite de proclamer l’existence d’une semblable règle, les uns ont le tort d’abandonner aussitôt l’homme et la conscience pour aller chercher, beaucoup trop haut et beaucoup trop loin, à notre avis, la raison et la règle de ses devoirs ; les autres, au contraire, se contentent de poser la règle comme absolue, sans en chercher la raison, comme se suffisant à elle-même, sans lui donner aucun point d’appui ni dans l’homme ni en Dieu.

Les premiers, sans nulle préparation, nous transportent d’abord hors de nous-mêmes, au sein du souverain bien, de l’ordre universel, de la fin dernière de toutes choses, de l’essence même de Dieu ou de sa volonté. Mais quand on est monté jusque-là, à leur suite, et d’une façon plus ou moins hasardeuse, il n’est pas facile d’en redescendre, par une déduction sûre, pour revenir modestement aux devoirs de l’homme envers lui-même ou envers les autres. Que si cependant on semble réussir en une pareille démarche, ce n’est jamais, si l’on y prend garde, qu’à la condition de rentrer bien vite là, d’où à tort on était sorti, c’est-à-dire dans la nature humaine et dans la conscience. Mais il reste de cette méthode des obscurités et des nuages que ne dissipent nullement certaines métaphores, telles que révélation surnaturelle, illumination d’en haut, impression de la divinité, qui nous valent, de la part des écoles empiriques et positivistes, ces reproches de mysticisme, dont elles sont si prodigues, qui sont si fort à la mode et qui suffisent à condamner sommairement, sans plus ample information, toute doctrine qui s’élève au-dessus de l’empirisme.

L’autre erreur consiste à ne rattacher à rien, ni à Dieu ni à l’homme, cette règle suprême, et à la laisser, pour ainsi dire, suspendue dans le vide. Tel est le reproche qu’on peut faire à Kant dont l’impératif catégorique n’est qu’une forme pure, un concept vide de l’entendement. Nous trouvons une doctrine semblable dans le Traité des facultés de l’âme de M. Garnier qui fonde aussi la mo-