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delbœuf. — hering et la loi de fechner.

moins exact parce qu’il n’est pas assez général, celui de sens musculaire. D’un autre côté je crois avoir aussi prouvé que l’œil[1], quand il nous donne la connaissance des attributs cinématiques des objets, c’est-à-dire si l’on veut, quand il sert d’organe au sens de l’étendue, doit être envisagé uniquement comme appareil musculaire. Il m’est impossible de refaire ici cette démonstration que, jusqu’à preuve du contraire, j’ai toujours jusqu’à présent regardée comme péremptoire. Quand donc l’œil cherche à apprécier la longueur d’une droite, il procède à la façon du piéton qui parcourt un chemin déterminé et qui en évalue la longueur en comptant ses pas et sa fatigue. S’il s’agit d’une distance en profondeur, l’œil nous fournit une indication précieuse dans l’effort de convergence des deux axes optiques et dans l’effort dit d’accommodation. C’est sur cette indication que nous évaluons cette distance. Si parfois l’œil semble juger d’un seul coup les longueurs et les formes, c’est en vertu d’un souvenir et d’une habitude depuis longtemps acquise, ou même d’un instinct, c’est-à-dire d’une habitude héréditaire. C’est ainsi que les jeunes poulets se jettent dès leur naissance sur le grain qu’on leur présente, et que les jeunes veaux et les jeunes chèvres sautent dans l’étable, sans jamais se heurter contre les objets qui s’y trouvent.

Ces points établis, on conçoit parfaitement bien pourquoi la loi logarithmique n’a rien eu à voir avec les grandeurs dites extensives, c’est-à-dire avec les attributs cinématiques. Ces grandeurs sont perçues par la conscience dans leurs rapports réels, parce que, en règle générale, les efforts déployés pour les mesurer leur sont proportionnels[2]. Il n’y a donc pas lieu de parler d’images sur la rétine, ni de lois de convenance, pas plus que de se lancer dans des considérations téléologiques pour expliquer cette proportionnalité.

Avant d’aborder les notions auxquelles j’ai donné le nom d’esthétiques[3], j’ai à m’expliquer sur l’attribut de pesanteur. Avant la bro-

  1. J’appelle ainsi les qualités sensibles que nous attribuons aux objets, bien qu’elles appartiennent plutôt à notre manière de sentir. Le mot esthétique est donc pris dans son sens étymologique. Kant s’en sert à peu près avec la même signification.
  2. Notes sur les illusions d’optique (Bulletin de l’Académie royale de Belgique, 2e série, tome XIX, n° 2, et tome XX, n° 6. Voir aussi la Psychologie, etc., p. 64 et suiv.). La démonstration abrégée, que j’ai donnée dans ce dernier ouvrage, a été reproduite en grande partie dans l’article que M. Dumont a bien voulu, dans cette Révue, consacrer à mes travaux (voir n° de novembre 1876, p. 475 et suiv.), ainsi que dans la Revue scientifique, n° du 20 janvier 1877.
  3. Pour ce qui regarde le jugement sur la distance de deux pointes de compas qu’on promène sur les différentes parties du corps, voir Théorie gén. de la sensibilité, p. 99 et 100.