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delbœuf. — hering et la loi de fechner.

VII. — Réponse à Hering : base réelle de la loi logarithmique.

Tout d’abord je reprendrai la confusion signalée par le savant professeur de Prague entre des sensations d’ordres complètement différents ; ce qui fait qu’on a gâté une cause bonne peut-être en la défendant par des arguments parfaitement attaquables. Examinons, par exemple, l’un de ces arguments dont M. Hering ne s’est pas occupé et que les psychophysiciens développent avec complaisance. D’après Laplace, la fortune morale ne croît pas proportionnellement à la fortune physique. Pour que celle-là augmente suivant une progression arithmétique, il faut que celle-ci croisse suivant une progression géométrique.

Si 100 francs de gain font un certain plaisir à celui qui possède 100 000 francs ils feront 10 fois plus de plaisir encore à celui qui n’en a que 10 000 francs. Si quelqu’un donc voit tous les jours sa fortune augmenter de 100 francs, la satisfaction qu’il en éprouvera ira en diminuant, parce que le gain relatif est tous les jours moindre. Pour que le contentement fut toujours le même, il faudrait que les accroissements partiels du capital fussent de jour en jour progressivement plus considérables. On a vu là une confirmation de la loi logarithmique de la sensation. Mais quel rapport y a-t-il entre ces considérations toutes de théorie, toutes fantaisistes sur la fortune morale et physique, et des faits réels, vivants, palpables ? Cette loi de Laplace est ingénieuse, sans doute, mais correspond-elle à la réalité ? c’est là une chose tout-à-fait incertaine, et qui paraît même improbable[1].

    la peine, au contraire, dans toute diminution du mouvement (voir sa Théorie scientifique de la sensibilité, 1875, Germer Baillière, et comparer aussi son article sur un opuscule de Horwicz, Revue phil., 1876, 1er décembre, p. 641). L’avouerai-je, je ne me fais pas une idée nette de cette théorie. Car, je le crains, c’est ne rien dire ou c’est faire un cercle vicieux que de prétendre que l’odeur de la rose est agréable, parce qu’elle augmente le mouvement de l’organisme. Je ne suis pas non plus disposé à accepter sa distinction des peines et des plaisirs en positifs et négatifs. Je me range sur ce point du côté de son contradicteur, M. Bouillier (voir Revue phil, 1876, mai, p. 444), Cependant, pour être sincère, je dois reconnaître que certains points en paraissent encore devoir être l’objet des plus sérieuses méditations. Ainsi les plaisirs vénériens n’ont pas pour point de départ une peine mais plutôt un état en lui-même agréable, ni pour terme la satisfaction mais plutôt l’affaissement et la tristesse, quand ce n’est pas le dégoût. J’en ai dit un mot, assez vague, il est vrai, dans ma Théorie de la sensibilité, p. 100 ; mais le problème mérite, certes, d’être examiné avec soin.

  1. Que de fois, comme à tous les voyageurs sans doute, il m’est arrivé, en Italie, après avoir donné plusieurs francs de bonne main aux conducteurs ou aux guides, de les voir me réclamer un supplément, et lorsque je les gratifiais d’un léger surplus, ne fût-ce que d’un sou, ils s’en montraient on ne peut plus satisfaits.