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delbœuf. — hering et la loi de fechner.

Loi de la tension ou de l’altération de la sensation. La substance nerveuse, venons-nous de voir, résiste de plus en plus à l’action extérieure à mesure que l’écart entre son état d’équilibre momentané et son état d’équilibre naturel vient à s’accroître. Mais cette faculté de résistance a ses limites ; celles-ci atteintes, les forces qui relient entre elles les molécules sont détruites, et la substance est anéantie dans ses propriétés. C’est que pour tout corps élastique il y a un point]où l’élasticité est rompue. La tension est en soi un état antinaturel qui a pour corrélatifs psychiques la gêne, la peine, la douleur, la souffrance, la destruction. Et, en retour, quand la tension diminue, on éprouve satisfaction, plaisir, volupté, renaissance. Le bien-être se trouve dans les environs de l’absence de tension. Il existe par conséquent une certaine température qui nous convient le mieux et où nous nous mouvons le plus à notre aise. Il est un certain degré de lumière favorable à l’œil et qui lui permet d’apercevoir facilement les plus petites différences ; il y a un certain état de la pression atmosphérique qui est le mieux approprié à la vie de nos organes ; une certaine composition des liquides de la bouche qui produit la vraie satisfaction des organes du goût ; et certes aussi, une certaine somme de bruit qui plaît à l’oreille et qui est également éloignée du tapage assourdissant et du silence de la mort. Le sentiment correspondant à la tension croît de plus en plus vite à mesure que l’organe s’éloigne de son état d’équilibre normal. Il suit à cet égard une loi opposée à la précédente. Quelle est au juste cette loi ? C’est ce qui est difficile à dire actuellement, mais il n’y a aucune impossibilité absolue à la découvrir par l’expérience[1]. À la sensation vient donc toujours se mêler, à un degré plus ou moins marqué, un phénomène de tension, et c’est pourquoi elle s’altère dans sa qualité. La sensation de chaleur, à mesure qu’elle croît, se transforme peu à peu en douleur. C’est que la tension augmente rapidement et masque la sensation. La sensibilité générale entre en scène et repousse à l’arrière-plan les sensibilités particulières[2].

  1. J’ai fait de nombreux essais dans cette direction, et à la fin de mon Étude psychophysique je fais connaître les difficultés sans nombre que j’ai rencontrées. J’ai pourtant formulé une loi, plus ou moins plausible, plus ou moins grossièrement vérifiée par ces essais. Mais, quoi qu’il en soit, la formule véritable doit avoir une physionomie analogue à celle que je lui ai assignée.
  2. Le regretté M. Dumont, dans l’article qu’il a bien voulu consacrer à mes doctrines (Rev. phil., nov. 1876, p. 467 et suiv.), critique cette loi et y fait des objections sérieuses qui demandent un mot d’explication. Tout d’abord je dirai qu’il n’a pas saisi nettement — et sans doute par ma faute, car le même reproche m’est adressé dans le n° du 20 janvier 1877 de la Revue scientifique, p. 729 — la distinction que je fais entre l’équilibre normal ou naturel, et l’équilibre statique ou momentané. Si l’on écarte de sa position ordinaire une barre élastique