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delbœuf. — hering et la loi de fechner.

contraire, les accroissements de travail sont nécessairement de plus en plus petits. La fatigue croît donc plus vite et la sensation moins vite que l’excitation. L’homme qui fait l’ascension d’une montagne se fatigue bien plus pour le millième mètre que pour le premier, et cependant ce n’est toujours qu’un mètre à gravir :

Cela posé, il n’était pas difficile de faire voir que toute sensation est mélangée d’un certain sentiment correspondant à l’état de l’organe. Ainsi, quand la lumière est trop vive, outre la sensation lumineuse, l’œil éprouve une impression de gêne et de malaise. De même les sensations de chaleur tendent à se transformer en douleur, et l’on peut en dire autant de l’effet des autres excitants tels que les odeurs, les saveurs, les bruits, etc. J’ai recherché en conséquence quelles étaient les conditions normales de l’exercice de la sensibilité, et j’ai trouvé par le calcul que la sensation est à son maximum de pureté, quand l’excitation se maintient autour d’une valeur moyenne comprise entre le minimum qui est sa seule excitation physiologique et le maximum qui amènerait la destruction de l’organe. Cette conclusion est conforme à ce que le bon sens admettrait à priori[1].

En principe, Fechner ne repousse pas ces corrections ; il pense que, pour les limites inférieures, il est nécessaire d’ajouter ce qu’il appelle la lumière propre de l’œil, et que par là on expliquerait les déviations de la loi ; selon sa manière de voir, les perturbations que manifeste la loi aux limites supérieures sont dues à ce que l’organe se blesse ; mais, en dehors de ces deux causes, les causes fortuites seules donnent lieu aux anomalies que l’expérience vient parfois constater. Pourtant il y a de ces prétendues anomalies tellement constantes et générales, que force nous est bien de ne pas nous contenter d’une explication aussi sommaire. C’est ce que j’ai mis en évidence par une expérience que tout le monde peut aisément répéter. Supposons un secteur de carton blanc tournant rapidement devant un fond noir, il nous donnera l’image d’un cercle grisâtre ayant un certain éclat. Découpons ensuite ce carton de manière à ce qu’autour du centre qui conserve ce même éclat, se dessinent deux anneaux plus sombres, mais tels que l’intérieur paraisse être d’un gris justement intermédiaire entre le gris du centre et celui de l’anneau extérieur ; en d’autres termes, de manière que les deux contrastes soient estimés sensiblement égaux. Si l’on mesure les quantités de lumière réelle renvoyées par ces trois teintes, elles se trou-

  1. J’ai eu la satisfaction de voir mes idées reproduites et approuvées par le Dr  Nuel, à qui a été confiée la rédaction de l’article Rétine dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (publié sous la direction du Dr  Dechambre Paris, Masson, etc.). Voir § 2, Physiologie, chap. III et V.