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E. de hartmann. — un disciple de schopenhauer

sible de donner à l’individualisme un fondement éthique ; il paraîtrait plutôt possible de le fonder sur l’égoïsme, car l’égoïsme est non-seulement une activité individuelle, mais même une activité individuelle se rapportant téléologiquement à elle-même et qui, par conséquent, présuppose un moi comme sujet et comme objet. Bahnsen ne se sert pas de cet argument ; il dit seulement que « de simples actes restent toujours dénués de toute indépendance véritable, » et qu’on ne peut pas même parler à propos d’eux d’une « activité propre » parce qu’il n’y a pas là de « noyau constant de la force ». Les deux formes de l’argument ne soutiennent pas la discussion. Là où la volonté individuelle est considérée comme un faisceau d’actes volontaires de la volonté universelle, certainement la force possède un noyau constant ; ce qui est constant dans la fonction de la volonté est en tout cas la substance, de quelque façon qu’on tranche la question de savoir si elle est une ou multiple. « De simples actes » ne peuvent jamais posséder une indépendance dans le sens propre du mot, c’est-à-dire dans le sens de ne dépendre que de soi-même, car ils dépendent toujours de quelque autre chose, à savoir : de la substance une et universelle ; mais Bahnsen n’a pas essayé de démontrer que l’indépendance substantielle est une hypothèse indispensable au concept de l’individualité et de l’activité individuelle.

Si le moniste dit que le « moi » dans tous les individus est l’être un et universel, cela est certainement une manière de parler inexacte ; car l’être un et universel n’a point d’individualité ; il l’obtient seulement dans l’individu concret. Pour être plus exact, le moniste devrait donc dire que dans tous les individus, l’être un et universel est la racine substantielle ou le noyau constant de leur individualité, tandis que cette partie du concept de l’individualité, qui constitue en lui les limites de l’individualité finie, appartient non pas à son côté absolu, mais à sa phénoménalité finie, partielle. Ainsi, l’individualité est un produit de l’être absolu et du phénomène concret que ces deux facteurs engendrent constamment dans le processus, et qui disparaît de nouveau ; la constance de l’identité dans le moi est une illusion subjective, à laquelle correspondent en réalité l’identité de l’absolu et la constance relative (phénoménale) du caractère. De ce que les facteurs restent toujours les mêmes[1], il résulte natu-

  1. Ainsi je réponds à l’observation de Bahnsen que dans ma doctrine la relation entre les volontés individuelles et leurs actes est plus ou moins accidentelle, puisque derrière eux l’Être un et universel est placé comme régulateur. L’Être un et universel ne pouvant, comme Bahnsen le dit lui-même, déterminer les actes de l’individu que par « la prédétermination d’une praedispositio specialis », ce n’est pas là une modification de l’acte faisant que la nécessité