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III. — Suite de Hering : Insuffisance des preuves apportées à l’appui des lois de Fechner.

Fechner a dû admettre que l’œil saisit en général les rapports de l’étendue comme ils sont en réalité et non en raison logarithmique, et il a, pour expliquer cette anomalie, recours à une hypothèse auxiliaire sur certaines dispositions de l’organe visuel qui le préserve du trouble occasionné infailliblement par l’action de la loi psychophysique. Mais il serait nécessaire d’inventer, comme on le verra bientôt, des hypothèses auxiliaires pour expliquer les sensations de durée, de pression, de poids, de son, qui échappent aussi à la loi logarithmique. En somme, cette loi ne se vérifie jusqu’à présent, et encore dans une certaine mesure, que pour la lumière et la tonalité ; or, s’il y a plus d’exceptions que de cas rentrant dans la règle, peut-on dire que cette loi est destinée à expliquer les rapports du physique et du psychique ?

Je ne vois pas ce que l’on pourrait répondre à une pareille objection, à moins que l’on n’établisse que les sensations où cette loi ne se vérifie pas, ne peuvent en aucun cas lui être soumises.

Mais M. Hering ne veut pas même laisser à la psychophysique le mérite d’avoir une loi applicable à la lumière et à la tonalité. Comme c’est là un fait indiscutable — au moins dans son caractère général de la non-proportionnalité entre l’excitation et la sensation — et qu’une partie des arguments qu’il a fait valoir jusqu’à présent en reçoivent une grave atteinte, force lui est bien de chercher à l’expliquer en se plaçant à un autre point de vue. Il se livre pour cela à des distinctions subtiles entre le poids et les dimensions d’une chose qui sont des attributs essentiels de cette chose, et son éclat qui n’en est qu’un attribut accidentel, dépendant de la quantité de lumière qui la frappe, et il serait, d’après lui, absolument indispensable de sentir proportionnellement le poids, tandis qu’il n’y a aucun inconvénient à sentir différemment la lumière et le ton.

Ce raisonnement ne m’entre pas dans l’esprit. Derrière l’argument se cache une certaine puissance occulte, la Nature, qui ayant à régler les rapports entre la sensation et l’excitation, établit la proportionnalité là où elle ne peut faire autrement, mais qui, une certaine latitude lui étant une fois donnée à cet égard, en profite avec empressement pour se livrer à des écarts fantaisistes dans le but avoué ou non de répandre un peu de variété autour d’elle, et surtout de jeter la tête des savants dans la perplexité.