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delbœuf. — hering et la loi de fechner.


I. — Hering : examen critique de la base de la psychophysique de Fechner.

Les travaux de Weber sur la mesure des distances par l’œil et sur les sensations de poids et de pression, lui ont révélé une loi qu’il rapproche de celle de l’acoustique ; mais il établit par là, dit M. Hering, une analogie entre des choses totalement différentes. Quand on compare trois droites qui sont entre elles comme les nombres 2, 3, 4, on les compare effectivement sous le rapport de leur longueur. En est-il de même quand on entend trois notes dont les hauteurs correspondent à des nombres de vibrations qui sont dans le même rapport de 2, 3 et 4 ? Evidemment non, car d’un côté on apprécie réellement la longueur des lignes, tandis que l’oreille n’évalue en aucune façon le nombre des vibrations. Je puis juger qu’une droite est double d’une autre, mais je ne me doute nullement, sans le secours des appareils de physique, que l’octave accomplit dans le même temps deux fois autant de vibrations que la note fondamentale ? S’agit-il maintenant de poids, on se trouve en face de sensations d’un nouvel ordre encore. Si les trois droites, 2, 3, 4, par exemple, forment un triangle, elles constituent une image dont la configuration dépend de leurs rapports numériques ; trois notes consécutives dans ces mêmes rapports donnent un fragment d’air qui a un caractère permanent dans quelque gamme qu’elles aient été prises, mais qu’on veuille bien nous dire ce que représentent à l’esprit trois poids proportionnels à ces nombres ?

Ces considérations de M. Hering, présentées ici sous une forme très-peu différente de celle qu’il a choisie, me paraissent très-justes et j’y souscris volontiers. Mais je n’approuve pas aussi complètement cette autre partie de son argumentation où il fait remarquer que la comparaison des droites nous est facile, parce qu’elles font sur la rétine une image dont l’extension est fidèlement représentative de la figure extérieure, et partant, que l’évaluation comparative des poids ne peut être exacte qu’à la condition que les intensités des sensations soient dans le même rapport que les poids eux-mêmes. Je n’accorde aucun de ces deux points. Je n’admets pas que nous jugeons exactement des distances, parce que l’image de la rétine en est une réduction proportionnelle. Quelle image sur la rétine vient faire la représentation d’un simple intervalle sans ligne tracée, ou même encore une distance en profondeur ou en perspective ? Je n’admets pas davantage que, pour saisir le rapport de deux poids, il faudrait des intensités de