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mement sérieux ; mais Fechner réussit à y échapper par certains subterfuges ou par des hypothèses accessoires. Nous-même, il y a quelques années[1], nous l’avons critiquée tant au point de vue théorique — elle est mathématiquement insoutenable — qu’au point de vue des faits — elle les explique d’une manière approximative seulement — et nous avons proposé des corrections dont l’expérience pour les sensations de lumière au moins est venue justifier la légitimité. Ces critiques concordaient pour représenter la loi de Fechner comme n’étant vraie qu’entre certaines limites, comme cessant de l’être quand les excitations sont ou très-faibles ou très-fortes, et comme n’étant encore qu’approchée dans ces limites mêmes. Malgré ces restrictions, le principe de la loi restait universellement admis, et Fechner jouissait tranquillement d’une notoriété justement acquise par ses innombrables et précieuses investigations.

Mais voilà que tout-à-coup, dans une séance de l’Académie de Vienne tenue le 9 décembre 1875, M. Ewald Hering, professeur de physiologie à Prague, connu déjà par des travaux de laboratoire et une remarquable conférence sur la mémoire de la matière organisée, élève lui-même de Weber et de Fechner, lance un discours sur la loi psychophysique de Fechner où il la soumet à une critique ingénieuse, pénétrante, implacable, l’examine dans sa base expérimentale, dans sa portée psychologique, et la réduit à néant ou peu s’en faut ; il ne lui laisse que des débris informes incapables, à première vue, d’être jamais remis en œuvre. M. Hering est un esprit net et logique, remarquablement lucide, très-fin et très-serré dans l’argumentation. C’est tout au plus si nous avons pu relever par-ci par-là dans les 39 pages de sa harangue un raisonnement entaché de faiblesse. Je signalerai pourtant dans cet opuscule un certain manque d’ordre : les objections de théorie se mêlent à la critique des faits, les observations générales aux remarques de détail ; les mêmes arguments reviennent à plusieurs reprises, et d’autres ne sont pas à leur place. En le résumant, je m’astreindrai à un plan plus méthodique, mais je n’échapperai pas complètement aux redites.

  1. Étude psychophysique. Recherches théoriques et expérimentales sur la mesure des sensations, et notamment des sensations de lumière et de fatigue. Bruxelles, Muquardt, 1873.