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sente d’ailleurs, au point de vue de l’interprétation morale des livres saints, les plus étonnantes similitudes. Presque toutes les théories de la Religion se trouvent déjà dans le Tractatus theologico-politicus : on est surpris queM. Bridel qui prononce quelque part le nom de Spinoza n’ait pas été plus frappé des conclusions absolument identiques de ces deux livres.

M. Bridel s’est refusé à tout rapprochement : c’est Kant et Kant seul qu’il a étudié ; sa thèse gagne ainsi en unité et s’offre à nous comme un manuel et un manuel recommandable de la doctrine kantienne : on peut discuter certaines critiques de l’auteur, mais non contester la fidélité de son exposition.

Beurier.

A. Swientochowski. Ein Versuch die Entstehung der moralgesetze zu erklaeren. (Essai sur l’origine des lois morales). Cracovie, 1876.

L’auteur de cette « dissertation inaugurale » présentée à l’Université de Leipzig s’est proposé d’appliquer aux idées morales la méthode d’analyse des sciences naturelles. Il considère les règles pratiques de la volonté, admises dans une société quelconque, comme des phénomènes psychiques généraux dont il y a lieu d’expliquer les conditions actuelles, les phases antérieures et les éléments. L’éthique est en effet, selon le point de vue, une science théorique ou un système pratique : elle explique des faits ou elle décrète des ordres. M. Swientochovski, à l’exemple de Darwin et Spencer, étudie en savant le développement historique des notions morales, c’est-à-dire leur évolution.

I. L’idée maîtresse de cet important travail, c’est qu’il n’y a pas de lois morales innées. La nature, dit avec raison l’auteur, ne souffre point d’entités : elle-même ne fait aucune distinction entre le mérite et le démérite, le juste et l’injuste. « Les concepts et jugements moraux les meilleurs et les plus dignes d’être acceptés doivent le rang qu’ils occupent dans notre raison à notre civilisation, à notre éducation, et vraisemblablement aussi à notre hérédité psychique. »

Cette proposition heurte de front un préjugé très-répandu, la croyance à l’immutabilité et à l’universalité des lois morales. On s’imagine volontiers que ces lois ont été instituées une fois pour toutes, sans que l’homme ait pris aucune part à leur confection : le droit naturel serait une sorte de charte octroyée par le souverain, et l’homme n’aurait d’autre rôle que de l’accepter. Telle est bien la conception des théologiens qui rattachent la promulgation du Décalogue à un acte formellement surnaturel ; c’est aussi celle des idéologues platoniciens, qui font dériver ces lois d’une Idée, archétype impérissable et universel