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ANALYSESbridel. — La Philosophie de la Religion.

aux frais du culte, les fidèles des diverses communautés doivent seuls s’en charger.

Donc, ce qui fait et ce qui fait uniquement la valeur d’une religion, c’est sa moralité ou pour mieux dire la moralité de celui qui l’interprète : l’homme vraiment religieux, à quelque culte qu’il appartienne, est celui qui trouve dans sa propre conscience et non dans l’autorité toujours discutable des livres sacrés ou dans l’authenticité toujours sujette à caution de miracles plus ou moins avérés la confirmation de ses croyances. Comme il n’y a pas de religion qui ne puisse être moralement interprétée par un cœur droit et pur, il n’y en a pas de fausse : seulement celle qui se prête le plus facilement à une telle interprétation est le christianisme. Il ne s’agit pas de savoir si la révélation, l’incarnation, la résurrection méritent une créance absolue. Kant assure par exemple que la résurrection n’a aucun intérêt pratique et que l’incarnation, prise à la lettre, est plutôt défavorable que favorable à l’édification des hommes. Dans les faits chrétiens il ne veut voir que des types d’idées morales. Ainsi qu’il l’explique dans l’Antagonisme des Facultés : 1° tout passage d’un livre saint qui renferme des dogmes théoriques contraires ou seulement indifférents à la moralité doivent être interprétés en sa faveur ; 2° on ne doit jamais faire un devoir ni un mérite de croire à des doctrines sans importance morale : les admettre est permis, si elles ne sont pas opposées à la moralité, mais non obligatoire ; 3° si quelques passages présentent les actes de la vie morale comme provenant de l’influence divine reçue passivement, il faut les interpréter moralement dans le sens de l’activité humaine ; 4° quand le résultat des efforts propres de l’homme ne suffit pas à le justifier devant sa propre conscience, la raison est autorisée à admettre qu’un supplément naturel leur sera ajouté. On comprend qu’avec une pareille méthode on peut aller loin, si loin que Kant, se demandant laquelle de toutes les époques connues de l’histoire de l’Église est la meilleure, répond carrément : « c’est la nôtre, » c’est le xviiie siècle, et cela parce que l’idée du devoir au temps de Voltaire et de Rousseau a gagné tout le terrain qu’a perdu la révélation !

Comme on le voit, à l’ancien adage de la scolastique : philosophia ancilla theologiæ, il oppose le principe tout à fait contraire que la religion est la vassale de la philosophie du devoir et que toute son utilité est de préparer le triomphe rationnel du bien dans les âmes. Ce n’est nullement forcer le système kantien que de le résumer dans cette formule : a les religions positives sont les appuis et les soutiens d’une moralité imparfaite et chancelante qui ne se suffit pas encore à elle-même : la moralité véritable, celle qui trouve son fondement dans la certitude de l’impératif catégorique et non dans la croyance en Dieu, est à elle seule la vraie religion. » Il vaut autant dire avec M. Nolen, qu’il est inutile de demander à Kant une philosophie de la religion entendue au sens ordinaire du mot : le criticisme ne s’y prête en effet en aucune façon ; il s’y prête même moins que le système de Spinoza avec lequel il pré-