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heure une accumulation d’études sous le poids desquelles auraient plié des têtes moins bien organisées. À 12 ans il composait une histoire romaine ; à 7 ans, il avait lu Platon. Mais si on élimine de cette éducation les particularités dues à une puissance exceptionnelle de l’intelligence, on y retrouve quelques-unes des maximes favorites de M. Spencer, par exemple l’habitude donnée à l’élève de s’instruire par un effort personnel : « Mon père s’efforçait de « mettre en jeu mes facultés en me faisant tout trouver par moi-même[1]. »

III


L’éducation morale, sans donner lieu à une théorie aussi complète que l’éducation intellectuelle, a pourtant suggéré à M. Spencer quelques réflexions importantes, dont l’analyse offre encore un certain intérêt.

Il est évident que, pour éviter de marcher au hasard, la pédagogie doit savoir prendre parti dans la question primordiale de l’innocence ou de la perversité naturelle de l’homme. M. Spencer déclare formellement qu’il n’accepte pas ce qu’il appelle le dogme de Lord Palmerston, ce que nous appellerions en France le dogme de Rousseau : à savoir que tous les enfants naissent bons. Il pencherait plutôt du côté de l’opinion contraire, qui « bien qu’insoutenable est cependant moins vide de vérité. » Sans doute il ne faut pas attendre de l’enfance trop de bonté morale : mais on peut trouver que M. Spencer force un peu les choses, et pousse au noir, avec quelque excès, le portrait de l’enfant, quand il dit : « L’enfant ressemble à un sauvage. Ses traits physiques, comme ses instincts moraux, rappellent le sauvage. » Pris à la lettre, un pareil pessimisme psychologique conduirait logiquement à une discipline morale trop sévère, toute répressive et de contrainte : car, l’enfant étant mauvais, il ne s’agit plus de laisser ses instincts s’épanouir en liberté ; il faut les combattre et les refouler. Cette conclusion, à laquelle arrivent naturellement tous les esprits effarouchés que troublent outre mesure les défauts du caractère de l’enfant, n’est pourtant pas celle de M. Spencer. Malgré la défiance que semble en théorie lui inspirer la nature de l’homme, il recommande dans la pratique une conduite de tolérance et de douceur, un système de laisser-aller relatif, qu’on croirait presque dicté par l’optimisme de Rousseau. Il réprouve là

  1. Stuart Mill : Mes Mémoires. Trad. Cazelles, p. 27.