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g. compayré. — les principes de l'éducation.

représentât d’abord sous des images sensibles, convaincu, comme il l’était, que les fortes croyances de la maturité sont faites des demi-erreurs du premier âge. Le cerveau n’acquiert que peu à peu sa structure définitive, l’esprit ne se mûrit que peu à peu ; et il faut dans l’éducation se résigner à ces lenteurs naturelles et inévitables, si l’on veut que l’intelligence soit, non pas un amas incohérent de conceptions mal digérées, mais une pensée organisée.

Quand on a marqué la transition qui conduit du simple au composé, de l’indéfini au défini, il semble qu’on ne fasse que se répéter quand on ajoute que la méthode naturelle passe du concret à l’abstrait. Il y a cependant, comme le fait justement remarquer M. Spencer, quelque utilité à poser à part ce troisième principe : ne serait-ce que pour empêcher la confusion trop souvent commise à l’endroit des formules générales et abstraites, qu’on se laisse aller à considérer comme plus simples que les faits particuliers et concrets qu’elles embrassent, et qu’on présente par suite les premières à l’intelligence de l’enfant. On ne s’exposera plus à cette erreur, on ne confondra plus la simplicité logique avec la simplicité réelle, si l’on se rappelle que l’abstrait doit toujours venir après le concret, « que la vérité générale est simple seulement par rapport à l’ensemble complet des « vérités particulières qu’elle exprime, mais qu’elle est plus complexe que chacune de ces vérités prises isolément. » Est-il besoin d’insister sur la justesse et l’opportunité de ces observations ? Combien de fois, renversant les termes, fait-on passer dans l’enseignement l’abstrait avant le concret ? Combien de fois même supprime-t-on complètement le concret, comme le prouvent, entre mille autres exemples, les doléances de Stuart Mill sur un point de son éducation personnelle, admirable d’ailleurs par tant d’autres côtés : « Un même défaut se retrouvait dans tous les procédés d’instruction de mon père : il comptait trop sur l’intelligibilité de l’abstrait présenté seul, sans le concours d’aucune forme concrète[1]. »

Nous suivons, sans le discuter, l’ordre adopté par M. Spencer dans l’énumération des vérités premières de la psychologie appliquée à la pédagogie. Peut-être, avant de montrer par des maximes particulières qu’il faut dans le développement individuel placer les éléments avant les composés, les faits avant les lois, les idées confuses avant les idées nettes, eût-il mieux valu en venir tout de suite aux généralités que l’auteur a au contraire réservées pour la fin, et surtout au quatrième principe qui signale les rapports de l’évolution de l’individu et de l’évolution de l’espèce. La genèse

  1. Stuart Mill : Mes Mémoires. Traduction Cazelles, p. 22.