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e. de hartmann. — un disciple de schopenhauer.

La contradiction intérieure de la volonté consiste, pour parler d’une manière abstraite et formelle, en ce que A (la puissance) ne doit pas rester A, mais doit devenir B (l’acte), ou autrement dit, en ce que la volonté cherche la satisfaction et est cependant condamnée par sa propre nature, si nous la prenons dans sa totalité, à rester éternellement inassouvie (malgré toutes les satisfactions partielles). L’expression sensible de cette contradiction est la condition malheureuse du vouloir, qui est déjà inhérente au vouloir vide lui-même ; elle ne résulte nullement, comme Bahnsen le croit, de l’opposition de différentes tendances. Il est d’opinion que dans une volonté unie en elle-même il n’y aurait pas eu de place pour une douleur quelconque, « qu’une telle volonté aurait nécessairement ressemblé à un crocodile ne trouvant rien au dehors de lui-même qui pût avaler, » tandis que la volonté scindée en elle-même a constamment trouvé dans ses oppositions intérieures la nourriture qui aiguisait en même temps son appétit et apaisait sa faim. Abstraction faite de ce fait qu’un être éternel auquel on donne de la nourriture ne peut pas davantage exciter notre pitié qu’un dieu mis à mort, il est cependant hors de doute qu’un être affamé, qui n’est jamais embarrassé pour satisfaire sa faim, est loin d’être dans une situation aussi malheureuse qu’un être affamé n’ayant rien pour se satisfaire. Par conséquent, la volonté avec ses tendances opposées entre elles ne se trouve pas dans un état de souffrances absolu plus terrible que la volonté à l’état de passion sans objet. C’est pourquoi dans ma théorie le vouloir vide, élevé à une certaine puissance, passe immédiatement à l’état de tendances partielles en lutte entre elles-mêmes comme à un état relativement plus supportable qui lui est procuré par la participation de l’Idée et par l’individuation dont cette dernière amène la possibilité. Si je réussis donc à faire comprendre l’individuation, c’est-à-dire la division de la volonté unique en tendances multiples par l’opposition et la nature des deux attributs, alors l’état de pluralité représenté par Bahnsen comme ne reposant sur aucune base et comme ne pouvant pas être expliqué du tout, est rendu réellement intelligible comme conséquence de l’éternelle scission intérieure de la substance unique. En tout cas, avant qu’on pût attacher la moindre valeur à la protestation de Bahnsen, celui-ci serait obligé de nous offrir comme preuve de son assertion — que la condition malheureuse du vouloir vide est « un non-sens » — un autre objet de comparaison que le crocodile. Cette comparaison en effet prouve le contraire de ce qu’il avance. Le reproche adressé par la volonté à l’Idée que sans cette gouvernante elle n’aurait du moins rien remarqué de toute sa misère ne repose sur aucun fondement