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que cette scission intérieure et l’individuation ne sont que phénoménales.

Ainsi, on voit qu’en tout cas il est absolument impossible de se servir de la prétendue dialectique réelle pour expliquer l’individuation, comme Bahnsen croit pouvoir le faire ; s’il avait réellement raison de soutenir que la pluralité des individus est une pluralité substantielle et provient d’une division ou d’une éternelle séparation de l’Être un et universel, il faudrait cependant que cette scission éternelle, inhérente à l’essence de la volonté elle-même, fût quelque chose de complètement différent de cette scission spontanée réaldialectique de la volonté individuelle, qui malgré tout laisse intacte l’unité de la substance. La séparation fonctionnelle ne doit donc jamais être confondue avec une division spontanée de la substance, comme Bahnsen le fait constamment.

Mais si la dialectique réelle ne peut pas être démontrée et si ses hypothèses sont insoutenables, ses conséquences rigoureuses sont donc contraires à la raison, et si elle n’a qu’une valeur illusoire pour expliquer l’individuation dans le sens de Bahnsen, elle est donc un couteau sans lame et sans manche. Tout le monde concède, en effet, que les conflits des différentes forces et directions de la volonté sont également inévitables dans le domaine de la raison et même logiquement nécessaires ; ils amènent comme conséquence forcée la douleur que nous font éprouver les tendances réprimées. Les souffrances causées par la multiplicité des luttes dans l’intérieur de notre âme (en tant que plusieurs tendances se répriment réciproquement) et le fait que nous sommes nous-mêmes la cause de ces souffrances, expliquent suffisamment pourquoi la scission intérieure de la volonté est beaucoup plus pénible que tous les conflits des individus entre eux. Bahnsen, en consacrant à ces questions une attention particulière, s’efforce avec raison de remplir une lacune de la psychologie, telle qu’elle a existé jusqu’aujourd’hui ; mais il commet une erreur s’il se croit obligé de confirmer cette distinction par une séparation des domaines ou même en éloignant du domaine supérieur les lois générales de la logique.

Mais si quelqu’un s’imaginait après ces observations qu’il était inutile de discuter si longuement et de réfuter si minutieusement la dialectique réelle antilogique de Bahnsen, il faudrait lui rappeler que cette doctrine a cependant le droit de prétendre à l’importance historique d’une conséquence inévitable de la métaphysique de la volonté de Schopenhauer. Dans Schopenhauer, le réalisme de la volonté et l’idéalisme objectif sont posés l’un à côté de l’autre sans intermédiaire, et de telle façon que le premier s’est assis sur le trône