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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

Maintenant, cette métaphysique à laquelle sont ici renvoyées les investigations relatives à la finalité, ne serait-ce qu’une physique, qu’une science expérimentale sous un autre nom ? Bacon a soin, dans le chapitre dont nous avons tiré les deux textes précédents, de distinguer les causes physiques des causes finales. Il ajoute que ces deux espèces de causes s’accordent parfaitement bien, avec cette différence pourtant que l’une désigne une intention et l’autre un simple effet : « Nisi quod altéra intentionem, altéra simplicem consecutionem denotet[1]. » Quoi de plus clair ? À la physique, l’observation des simples effets ; à la métaphysique, la recherche de l’intention. Or, quelle est, d’après Bacon, la source des intentions, l’origine des causes finales ? C’est Dieu lui-même : « fontem causarum finalium, Deum scilicet[2]. » Et Dieu nous est connu, on l’a vu plus haut, non par un rayon direct, comme la nature, mais par un rayon réfracté. Les deux méthodes diffèrent autant que les deux objets, et la métaphysique qui cherche et les causes finales et leur source dernière, est une science à part, profondément distincte de la science des simples effets physiques.

Bacon tient tellement à ce que la question des causes finales, éliminée par lui de la physique, soit posée en métaphysique, et résolue par l’action providentielle de Dieu, qu’il critique sévèrement Aristote à ce sujet. Aristote, on le sait, semble souvent grossir démesurément la part de la nature dans l’administration de l’univers, et amoindrir, annuler même celle de Dieu. Bacon lui reproche d’avoir presque omis Dieu, source suprême des causes finales, et de s’être comporté en cette occasion plutôt en logicien qu’en théologien. Preuve nouvelle que c’est, chez Aristote, le logicien bien plus que le théoricien et le métaphysicien, que Bacon repousse et condamne. Cette partie du De Augmentis jette, aussi du jour sur les rapports de Bacon avec Démocrite, rapports que l’on s’est récemment complu à mettre en évidence[3], ce qui est fort légitime, mais dont on a oublié de noter quelques-uns qui sont particulièrement curieux et importants à faire ressortir. Comme Bacon estime, on s’en souvient, que le problème de la finalité est déplacé en physique, il loue Démocrite et ses sectateurs de ne l’y avoir pas introduit, et juge leur philosophie plus solide que celle de Platon et d’Aristote en cela qu’ils en ont retranché la recherche des causes finales : « Hanc unicam ob causam quod illi (Démocrite et les siens) in causis finalibus nunquam operam triverunt. » C’est fort bien. Mais à la page suivante Bacon

  1. Ibidem, p. 194.
  2. Ibid., p. 193.
  3. Kuno Fischer, Francis Bacon, etc. 2e  édition, p. 262.