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ne s’est pas douté que l’emploi de ces deux mots : a nature naturante » impliquaient, supposaient un vaste ensemble de réflexions. Mais quiconque se vante de pénétrer jusqu’à la forme invisible douée d activité et de force, celui-là, qu’il y pense ou non, se place en dehors des voies expérimentales. La preuve, c’est que les vrais empiriques, j’entends les empiriques conscients, ceux qui n’attribuent qu’à l’expérience la puissance positive de connaître et qui n’accordent à l’esprit humain d’autre faculté de connaître que l’expérience, éliminent résolument tant du cercle de la science que de la sphère philosophique les objets tels que la cause, la force, la substance. Et ils sont conséquents avec eux-mêmes. En recommandant, au contraire, à la philosophie et à la science la recherche, la détermination de ces objets. Bacon ne se contredit pas lui-même puisqu’il n’a jamais évincé la raison : il oublie seulement, il omet de décrire la méthode supérieure par laquelle la raison croit se rendre ces objets accessibles, comme il oublie de rappeler qu’Aristote avait eu, bien avant lui Bacon, le grand mérite de voir dans la forme le principe de l’activité, et, à son plus haut degré, l’acte même. Aux yeux d’une critique impartiale ce ne saurait être là l’équivalent d’une négation explicite. Si l’on veut compléter ici une pensée qui s’est arrêtée en chemin, ce n’est pas dans le sens de l’empirisme mais dans celui de l’intuition rationnelle qu’il est permis de la prolonger.

Notre manière d’interpréter la doctrine de Bacon est pleinement confirmée par sa théorie des causes finales.

Même après MM. Ch. de Rémusat[1], Paul Janet[2] et d’autres encore, il y a lieu d’établir exactement l’opinion de Bacon sur les causes finales. À ceux qui ne manqueront pas de répéter encore longtemps, sans consulter les textes, que l’auteur de l’Instauratio magna a proscrit absolument la recherche des causes finales, il ne faut pas manquer de répéter d’avance qu’ils seront dans l’erreur. Bacon se défend d’éliminer l’étude de ces causes : il ne veut que la transporter de la physique où elle est un embarras à la métaphysique où est sa véritable place : « Metaphysicæ pars secunda est finalium causarum inquisitio, quam non ut prætermissam, sed ut male collocatam notamus. Soient enim inquiri inter physica, non inter metaphysica[3]. » — Atque hæc de metaphysica dicta sint : cujus partem de causis finalibus, in libris et physicis et metaphysicis tractatam non negaverim ; in his recte, in illis perperam, propter incommodum inde sequutum[4]. »

  1. Bacon, sa vie, etc., p. 279.
  2. Paul Janet, Les Causes finales, pp. 252-254.
  3. De Augmentis, lib. III, c. IV, t. I, p. 191.
  4. De Augmentis, lib. III, c. IV, t. I, p. 195.