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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

rentrent souvent l’une dans l’autre et que Bacon y est plus près d’Aristote qu’il ne le pense et qu’on ne l’a cru.

On n’a point à démontrer que la question de la forme fait partie de la métaphysique de Bacon, puisqu’il le déclare lui-même[1]. On n’a pas davantage à discuter en la serrant de trop près la pensée qu’il cache sous ce mot, parce que cette pensée est trop peu claire et trop peu fixe. Toutefois, autant qu’on la peut saisir, cette conception ne présente rien de nouveau : d’un côté elle est presque conforme à la théorie d’Aristote sur le même point ; de l’autre, telle qu’il la donne, elle ne saurait dériver de la seule expérience. Voilà ce qu’il nous suffira d’établir.

Qu’est-ce, d’après Bacon, que la forme ? « La forme d’une certaine nature, dit-il, est telle que, cette forme existant, l’existence de la nature donnée en résulte infailliblement. Aussi cette forme est-elle toujours présente quand la nature donnée est présente ; elle en est l’expression générique et est inhérente à chaque individu. Cette forme est telle que si elle disparaît, la nature donnée disparaît aussi infailliblement. Aussi est-elle toujours absente quand cette nature est absente, et son absence en est toujours la négation, parce qu’elle n’est inhérente qu’à cette nature. Enfin, la forme vraie est telle qu’elle fait sortir la nature donnée d’une certaine source d’essence qui est commune à plusieurs natures[2]. » Eu définissant ainsi la forme, Bacon se vante de changer et de rectifier la doctrine de Platon sans s’apercevoir qu’il y substitue la pure et propre doctrine d’Aristote : « Il est manifeste que Platon, homme d’un génie sublime (qui contemplait toutes choses comme de la cime d’un rocher élevé), a reconnu dans sa théorie des Idées, que les formes sont le véritable objet de la science, quoiqu’il ait perdu le fruit de cette vue très-vraie en contemplant et en voulant saisir des formes absolument séparées de la matière, non déterminées dans la matière ; d’où il est advenu qu’il s’est perdu dans les spéculations théologiques, ce qui a altéré et gâté toute sa philosophie naturelle[3]. » Ces lignes sont-elles autre chose que la répétition mot à mot de l’objection fondamentale adressée à Platon par Aristote et qui consiste à lui reprocher maintes fois de poser les idées à l’état d’essences séparées en dehors des êtres particuliers ? Aristote oppose à cette métaphysique trop idéaliste selon lui, sa doctrine de la coexistence nécessaire de la matière et de la forme, parce que, sans la réunion de ces deux principes, il n’y a pas de substance réelle ;

  1. Novum Organum, lib. , § , t. , p. 91.
  2. Novum Organum, lib. , § , t. , p. 85.
  3. De Augmentis, lib. , c. , t. , p. 188-189.