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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

la recherche de ces conditions échappe absolument aux procédés de la physique. Par conséquent ces objets, supérieurs à l’expérience, rentrent dans le domaine de la raison.

Ira-t-on jusqu’à dire que ces axiomes « magis generalia » et ces conditions transcendantes sont des principes et des idées à priori ? Les meilleurs critiques de Bacon ne le croient pas ; nous ne le pensons pas davantage. Après avoir élevé ces conceptions générales autant que possible, Bacon en abaisse un peu la hauteur. Ceux qui en ont traité se sont, dit-il, trop confiés à la dialectique, méthode qui a le tort de convenir à l’argumentation plutôt que de viser l’existence réelle des choses[1]. Ils ont ainsi laissé de côté une partie considérable de la métaphysique. La cause de leur impuissance, c’est qu’ils se sont trop et trop tôt éloignés de l’expérience, et qu’ils se sont livrés à leurs pensées, à leurs méditations et à leurs raisonnements trop à l’écart des êtres particuliers[2].

Ces mots : trop tôt, trop loin, trop à l’écart, trop en dehors, portent avec eux leur lumière. Ils signifient que, pour atteindre les principes et les conditions générales des choses, on ne doit pas trop s’écarter de l’expérience, mais qu’il est nécessaire de s’en éloigner assez. Si donc, d’une part, ces grands objets ne sont pas connus indépendamment de l’expérience, d’autre part ils ne se confondent point avec les résultats directs et prochains de celle-ci. Ce ne sont que des axiomes moyens, — Bacon le dit expressément : « Etenim axiomata infima non multum ab experientia nuda discrepant. Suprema vero illa et generalissima (quæ habentur) notionalia sunt et abstracta, et nil habent solidi. At média sunt axiomata illa vera, et solida, et viva, in quibus humanæ res et fortunæ sitæ sunt ; et supra hæc quoque tandem ipsa illa generalissima ; talia scilicet, quæ non abstracta sint, sed per hæc média vere limitantur[3]. » On le voit : non-seulement les axiomes moyens sont les vrais et solides axiomes, mais encore les plus généraux ne sont vrais qu’en tant que la portée en est réglée par les axiomes moyens. Comparés aux axiomes moyens, ceux qui dérivent immédiatement de l’expérience sont infimes. Ceux-ci sont trop près des choses individuelles. « La philosophie néglige les individus ; elle n’embrasse pas non plus les premières impressions qui viennent des individus, mais seulement les notions qui en sont extraites ; puis elle réunit et sépare ces notions conformément aux lois de la nature et à l’évidence des

  1. De Augmentis, lib. III, cap. I, t. I, p. 165.
  2. Ibid., cap. IV, t. I, p. 190.
  3. Nov. organ., lib. I, § CIV, t. II, p. 62.