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thodique. M. Kuno Fischer est dans la stricte vérité lorsqu’il nous montre Bacon ayant une tactique qui vise à deux buts : prouver autant du syllogisme que de l’expérience aristotélique qu’ils sont inféconds, vains dans la pratique, inutiles pour l’explication de la nature[1]. Mais un peu auparavant, M. Kuno Fischer prête à Bacon, par rapport à Aristote, un esprit d’antagonisme plus complet, plus absolu : « Bacon, — écrit-il, — combattait dans Aristote le théoricien, le métaphysicien, le formaliste et l’empirique. Il se posait lui-même en Anti-Aristote incarné[2]. » Ici le savant historien de la philosophie expérimentale nous semble aller un peu loin, et nous n’osons le suivre jusqu’à affirmer avec lui que, dans Aristote, Bacon attaque, réfute, cherche à détruire même le théoricien et le métaphysicien. Nous en avons deux raisons : la première, c’est la ressemblance, , voulue ou involontaire, mais évidente à certains égards de la métaphysique baconienne avec celle d’Aristote : nous en parlerons plus loin quand il sera question des quatre causes. Notre second motif de rester ici en deçà de l’appréciation de M. Kuno Fischer, c’est l’attitude constante de Bacon par rapport à la raison humaine.

Je lis dans Bacon le décret de bannissement contre le syllogisme que j’ai déjà rappelé : Rejicimus igitur syllogismum[3]. Je cherche vainement dans son œuvre un pareil anathème contre la raison, par exemple une formule ainsi rédigée : Rejicimus igitur rationalem facultatem, — ou quelque autre analogue à celle-là. Je n’en rencontre point de telle.

Loin de là, dans la préface du de Augmentis, il exprime le désir d’associer les deux puissances essentielles de l’esprit dont l’antagonisme a, selon lui, porté le trouble dans la famille humaine : « Atque hoc modo, inter empiricam et rationalem facultatem (quarum morosa et inauspicata divortia et répudia, omnia in humana familia turbavere) conjugium verum et legitimum in perpetuum nos firmasse existimamus[4]. »

Ce passage n’est nullement une sorte d’accident, une distraction de la part de celui qu’on recommence à présenter comme le pontife exclusif de l’expérience. George Herbert[5], qui avait vécu dans l’in-

  1. Francis Bacon, etc., p. 150.
  2. Francis Bacon, p. 250. « Er bekampfte in Aristoteles den Theoretiker, den Metaphysiker, den Formalisten und den Empiriker ; er machte sich zum leibhaftigen Anti-Aristoteles. » — Et page 262 : « Dem Aristoteles widerstrebt Bacon aus allen Kräften und in allen Punkten, er will mit ihm gar nichts gemein haben,… »
  3. De Augmentis, distrib. operis, Bouill., t. I, p. 21.
  4. Ibid. Præfatio general., t. I, p. 16.
  5. Sur George Herbert, voir l’Histoire de la philosophie en Angleterre de