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sphère des agents libres. Cette confusion est étrange : elle n’est pas la seule que présente le long passage d’où nous la tirons. La théorie des axiomes de Bacon flotte dans un nuage. Après qu’il a traité ce sujet, on y voit moins clair qu’auparavant.

On est d’autant plus désorienté que Bacon, après avoir changé le sens des termes anciens qu’il emploie, et avoir donné ce changement comme une sorte de méthode à la fois conservatrice et libérale, ne sait pas maintenir la signification nouvelle qu’il a imposée aux dénominations reçues. « Quant à nous, — dit-il, — notre ferme propos est d’accompagner l’antiquité jusqu’aux autels et de conserver les termes antiques, quoique nous en changions le plus souvent la signification et les définitions ; suivant en cela cette manière d’innover si modérée et si louable en politique, qui consiste à changer l’état des choses, en maintenant les formules consacrées, manière que Tacite désigne ainsi : « Les noms des magistratures restaient les mêmes. » — « Nobis… decretum manet antiquitatem comitari usque ad aras, atque vocabula antiqua retinere, quamquam sensum eorum et definitiones sæpius immutemus[1]. » Que ce procédé soit utile en politique pour ménager les transitions, ce qui n’est pas impossible, il n’a, dans tous les cas, de valeur qu’à la condition de ne pas altérer à l’improviste la signification de la langue dont on se sert ; sans quoi l’on tombe dans la sophistique. En philosophie, le danger n’est pas moins grand. Bacon ne l’évite pas.

Il commence par distinguer expressément la philosophie première de la métaphysique : « Redeamus igitur ad acceptionem vocabuli metaphysicæ, nostro sensu. Patet ex iis quæ supra disseruimus, disjungere nos philosophiam primam a metaphysica, quæ hactenus pro re eadem habitæ sunt. Illam communem scientiarum parentem, hanc naturalis philosophiœ portionem posuimus. Atqui philosophiæ primæ communia et promiscua scientiarum axiomata assignavimus[2]. » C’est donc bien entendu ; la science première est celle qui embrasse les axiomes et qui est la mère commune de toutes les sciences ; au contraire, la métaphysique ne sera désormais, au gré de Bacon, qu’une partie de la philosophie naturelle. Or, dans le même ouvrage, même livre, même chapitre, quelques pages plus loin, on lit ce qui suit[3] :

« Cette partie de la métaphysique que je compte parmi les lacunes à combler, est de la plus haute importance pour deux raisons. La première est que l’effet et la vertu propre des sciences est d’abréger

  1. De Augmentis, liv. III, ch. IV, Douillet, t. I, p. 171.
  2. De Augmentis, liv. III, ch. IV, Bouillet, t. I, p. 172.
  3. Ibid., p. 190.